Dès la première page, le décor est planté : une imposante demeure dans une forêt de Rambouillet, héritage d’une illustre et mystérieuse famille aristocratique. Une jeune et jolie archiviste, Pauline y débarque pour un entretien d’embauche auprès du maître des lieux, Julien Adringer. Sa mission : reconstituer les mémoires de la famille en ayant accès à toute la bibliothèque et toutes les archives. Mais très vite, Julien l’informe que ce lieu dit « le Manoir » est un lieu de rencontres sadomasochistes depuis plus d’un siècle et que si elle accepte ce poste, elle devra être confrontée à cet univers jour et nuit. N’ayant pas froid aux yeux, Pauline accepte non seulement l’idée mais surtout l’étrange pacte d’avoir « une punition » si son travail n’est pas bien fait.
C’est le début pour Pauline, la soumise novice, d’une initiation sexuelle et amoureuse qui l’entraîne dans un monde aux règles sévères mais où son libre-arbitre reste préservé. On s’attache à cette héroïne qui par jeu et par amour est prête à être offerte à d’autres et à subir de nombreuses séances de flagellation, mais qui par son indiscipline et sa posture effrontée, un brin sauvage, provoque son Maître et du coup perturbe les règles de son jeu.
Ce roman n’est pas réservé qu’aux amateurs et pratiquants du sado-masochisme. La prouesse d’Emma Cavalier est de rendre cet univers SM accessible à tous et de nous offrir une véritable intrigue avec des personnages dont la complexité, les désirs passionnels et obsessionnels finalement nous sont proches et intimes. On peut être fortement rétif aux séances de flagellations (comme je l’ai été) mais on les « supporte » avec l’héroïne ; on se laisse emporter par l’extrême tension érotique qui s’installe où l’interdit, le manque, la privation sont le ressort du récit ; finalement on finit par s’abandonner au fouet de la plume de l’auteur, quelque soit finalement le dénouement. De plus, l’enquête dans les archives du Manoir est véritablement passionnante. Emma Cavalier réussit un véritable tour de passe-passe d’écrivain en inventant de tout pièces des lettres et documents d’une histoire familiale sur cinq générations, dont la bibliothèque suppure de romans noirs, d’ouvrages licencieux et curieux..
Ce premier roman d’Emma Cavalier est d’un style maîtrisé et envoûtant. Il invite tout lecteur à lâcher prise, à « se déshabiller » et à mettre tous ses préjugés au seuil du Manoir. En y pénétrant, vos fantasmes seront cinglés, aiguisés et soumis à dure épreuve. Jusqu’à la fin, vous ne pourrez lâcher ce roman, ou si vous le faîtes, vous ne le lâcherait que d’une main.
Le Manoir, Emma Cavalier. Editions Blanches, 2011
*
{Article paru dans « Le cahier des livres » du Magazine des Livres N°33 Novembre/Décembre 2011, écrit par Katrin Alexandre }