Il y a toujours des préjugés dans la pensée
J’annonce à mes parents que je suis homosexuel. Ma mère le pressentait. Mon père dit que je suis malade, que « ça », « cette maladie », peut se soigner, qu’il s’agit d’un passage, qu’il fera tout pour m’aider ». Alexandre Bergamini – Sang DamnéPour combattre ces préjugés il est important de vouloir se remettre en question, se connaître soi-même, notre monde interne. L’homosexualité ne laisse personne indifférent et suscite des sentiments contradictoires, ambivalents et nous amène à réagir. Certains vont la condamner, d’autres auront des réactions de rejet ou de haine. De telles réactions ne sont pas un crime, mais il faut cependant, essayer de comprendre pourquoi cela suscite un tel effet. Quels sont les aspects de nous-mêmes qu’il nous a fallu rejeter ? Autrement dit, à l’évocation de l’homosexualité, nous devrions pouvoir reconstruire le sens de nos peurs et de nos pensées sur tout ce qui concerne la sexualité et leur impact sur notre vie émotionnelle. Nos préjugés, nos peurs, nos défenses contre de telles expériences sont les raisons essentielles pour lesquelles notre sexualité reste une nébuleuse quand ce n’est pas un fantôme inquiétant. Il nous faut une grande liberté intérieure et une grande capacité pour différer tout jugement hâtif. Comment nous libérer de nos préjugés sur l’homosexualité pour nous sentir enfin à l’aise avec nos sentiments personnels les plus intimes ? Peut-on penser ces questions sans préjugés, loin de toute approche normative ? Oui, si nous sommes vigilants par rapport à ce que nous avons appris. Il n’est évidemment pas facile de se défaire d’une éducation, d’un milieu, des premières impressions de son passé et de son enfance. Quand on est face à un sujet aussi délicat, le plus important est d’être attentif à notre première réaction. Que nous inspire l’homosexualité ? Comment réagissons-nous ? Pourquoi toujours ce moment d’irréflexion ?
Penser sans préjugés consisterait en une prise en charge par soi-même de sa propre pensée, en s’autorisant à questionner, à examiner, sans recourir d’emblée à des idées reçues, ou à des opinions communes. Sans compter qu’il faut également se défaire du préjugé selon lequel on pourrait penser l’homosexualité sans préjugés. Nous commençons toujours par penser avec des préjugés, il y a toujours des préjugés dans la pensée. Préjuger signifie « juger avant », c’est-à-dire juger avant de juger, adhérer à une idée, la tenir pour vraie en l’absence de réflexion, ou plus précisément en l’absence de tout jugement réfléchi. Affirmer par exemple que l’homosexualité est un choix, relève d’une opinion sans jugement, sans réflexion, sans véritable justification scientifique.
Penser contre ses préjugés
Nous pensons toujours avec des préjugés car notre pensée est tout d’abord pétrie, infiltrée de préjugés dans une quasi impossibilité de s’en défaire. Quand nous pensons l’homosexualité avec des préjugés c’est que nous ne pensons pas encore. Nous ne pensons « pas encore » signifiant que la pensée est un apprentissage qui consiste à penser contre les préjugés, c’est-à-dire contre soi. La pensée est par conséquent un effort de lutte contre les préjugés car au départ notre pensée procède d’opinions reçues, de préjugés et de jugement hâtifs. Nous prenons nos préjugés pour la vérité. Dans l’enfance et pendant notre éducation nous avons eu affaire aux autres, les autres dont nous héritons moralement, intellectuellement, avant de raisonner par nous-mêmes.La première et la principale cause de nos erreurs, disait Descartes, sont les préjugés de notre enfance. Quand quelqu’un affirme que l’homosexualité est un choix, dans ce cas-là, il ne s’agit pas de pensée mais d’affirmation, on se contente d’affirmer des clichés provenant de l’éducation, du ouï-dire, de la paresse d’esprit, de tout ce qu’on veut, mais certainement pas d’une analyse ou d’un examen approfondi. Partant du principe que l’activité de penser implique la réflexion, le questionnement, l’examen critique, l'activité intellectuelle et rationnelle, alors nous pouvons conclure que penser et préjuger sont opposés et incompatibles dans la mesure où penser avec préjugés ce n’est pas penser. Il faut se lancer dans la pensée contre ses préjugés, penser contre soi-même, avec volonté et courage pour se défaire de nos préjugés sur l’homosexualité sachant qu’en définitive il est illusoire de pouvoir éliminer totalement la pensée de tout préjugé.
Paulo Queiroz.
NDLR : L'auteur de cet article vient de publier avec Isabelle Lacheref, « Bien réagir au coming out d’un proche » aux éditions Jouvence, 2011