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Livre : "Des chiens". L'hyper-sexualité gay et des lesbiennes romantiques

Publié le 28 décembre 2011 par Veryfriendly

- Que souhaitais tu faire avec ce roman ? Décrire une génération ou la communauté LGBT à une certaine époque ?
J'ai écris "Des Chiens" comme un roman générationnel, c'est vrai. Parce que je me sentais pile dans ma génération, la dernière à avoir connu la vie sans internet.
C'est marrant, tout le monde semble avoir oublié qu'internet est si récent, qu'il n'y a même pas 15 ans, quand on était homo, on était obligé de sortir dans les bars ou boîtes gay et rencontrer des mecs "comme nous" pour comprendre que ce qu'on vivait dans le secret douloureux de sa chambre n'était pas honteux ou invivable. De nos jours, il suffit de taper "gay" sur un moteur de recherche pour trouver des milliards d'info, des vidéos, des forums de discussion et des associations d'entre-aide. Quand j'ai eu 17 ans, ce n'était pas le cas. J'ai fréquenté des mecs plus âgés qui m'ont appris l'Histoire du mouvement gay, des choses dont je ne me doutais même pas, Stonewall, le MLF, Act Up, etc, et qui m'ont surtout appris qu'on pouvait être gay et vivre normalement. Nous n'avions pas le choix, nous devions rencontrer physiquement le milieu pour apprendre à exister. Malheureusement ou heureusement, ma génération n'aura pas transmis le témoin à la génération suivante. C'est internet qui a pris le relais. Je dis malheureusement parce que quand je rencontre des mecs de vingt ans à qui j'apprends qu'avaler du sperme peut transmettre le VIH, ça m'effraie; et en même temps, je trouve cela heureux parce que quand je vois la facilité avec laquelle on peut vivre son homosexualité de nos jours, je trouve qu'internet a été un facteur positif. Ce qui ne veut pas dire que je ne trouve pas révoltant que la taux de suicide chez les jeunes soit encore le plus élevé chez les gays, ni que je trouve que les nouveaux modes de rencontre par internet soit mieux que les rencontres physiques. Au contraire !

- La relation avec les lesbiennes aussi, pour marquer les différences ?
J'aime les lesbiennes, j'ai presque envie de dire que mes meilleurs amis sont... des femmes! Mais mes amies n'aimeraient pas que je les réduise à des lesbiennes ou à des bi, elles sont aussi des femmes intelligentes, talentueuses et d'une grande tolérance / ouverture d'esprit.
Je ne pouvais pas parler de ma génération sans parler des filles, qu'on a trop tendance à rejeter dans le "milieu gay", ce qui est une grave erreur. Les lesbiennes sont une composante essentielle de la communauté, même si, comme on le dit fréquemment, "elles seraient moins visibles". Elles apportent une vision différente, plus subtile et réfléchie. Contrairement aux garçons, elles essaient de comprendre l'adversité, puis de la démonter point par point. Nous, les mecs, on a des comportements claniques et auto-défensifs un peu stériles, et très brouillons. Et puis les filles, elles, n'hésitent pas à ré-inventer le modèle de l'amour qui leur convient.
Aragon va peut-être se retourner dans sa tombe, mais j'ai envie de dire que la lesbienne est l'avenir du gay.

- Il y a aussi une tristesse de l'homosexuel mâle, que mettent en lumière plus spirituelles, moins clichés : penses-tu que l'on devrait s'inspirer davantage des lesbiennes ? sont-elles moins mues par leur sexualité ? Est-ce qu'elles te fascinent ?
Je ne pense pas qu'on doive faire de comparaison entre les filles entre elles et les mecs entre eux. C'est très différent, un peu comme un homme et une femme ensemble sont différents. C'est justement quand on essaie de comparer puis d'imiter une sexualité différente de la nôtre que l'on se trompe. La tristesse que ressentent parfois les gays ne provient pas de leur sexualité en elle-même, dans le fond peu importe que l'on jouisse avec un homme ou une femme tant que l'on jouit. La tristesse que l'on ressent provient de la façon dont on vit notre sexualité, et ce que l'on ressent à son sujet. Et c'est justement quand on aura compris qu'on doit inventer nos propres règles qu'on arrêtera d'être malheureux. Les filles, elles, ont plus de facilité à surfer sur les codes qu'elles se sont inventés, et qui sont très différents de la sexualité hétéro. Les gays, eux, oscillent en permanence entre des envies de mariage, de pavillon à Levallois et des envies de baiser avec la moitié de la Terre entière. Ce qui est assez comique, c'est que les premiers militants de la cause gay ne revendiquaient absolument pas le mariage, bien au contraire. Ils voulaient casser cette institution pour en créer une qui prendrait aussi bien en compte les hétéros que les gays (lesbiennes, etc). Pas mal d'entre eux sont assez étonnés de voir les revendications de mariage dans la communauté. Ils voulaient inventer une nouvelle forme d'institution, parce qu'ils sentaient bien que le mariage dans sa forme actuelle n'était pas compatible avec nos besoins et nos envies propres. Pourquoi ne reprenons-nous pas ce pré-supposé de départ pour créer une institution qui nous correspondrait ?



- Tu décris avec beaucoup de cynisme la sexualité gay, est-ce un vrai roman ou penches-tu vraiment pour les idées de ce narrateur, qui porte le même prénom que toi.
C'est compliqué d'écrire un roman en le détachant de ce que l'on est, surtout avec un narrateur qui porte son propre prénom. Il y a évidemment beaucoup de choses de ce que j'ai vécu, ou de ce qui m'ont été rapporté dans ce roman. Je partage certaines visions de mon narrateur, mais aussi des autres personnages. Je ne dirais pas que mon narrateur est cynique, cependant, ou que sa sexualité est cynique. Il connait les aléas d'une sexualité multiple, la frustration, les déceptions, les attentes vaines, etc. Mais il n'est jamais cynique, il a toujours l'espoir de s'en sortir, de construire quelque chose, même s'il met du temps à comprendre que ce n'est pas tant ce qu'il est qui fait défaut que la façon dont il s'y prend. Mon roman est sans fard ni faux-semblant, mais c'est un reflet de la réalité, il suffit d'aller dans un sauna gay un dimanche soir pour constater que la sexualité multiple chez les gays n'est pas un mythe. Bien sûr, la plupart des gays aimeraient croire qu'ils y échappent, qu'ils ne se construisent pas ainsi, et j'espère sincèrement qu'ils disent vrai, mais je n'en suis pas du tout convaincu. Accepter notre sexualité, c'est un premier pas vers la compréhension, il est temps que les gays cessent d'être dans le déni de réalité, s'ils veulent avancer, parce que ça, pour le coup, ça c'est cynique.

- Tu critiques l'obsession des gays pour la sexualité mais les héros de ton roman sont très branchés sexe. Est-ce inéluctable ?
Ce qui est inéluctable, dans le milieu gay, c'est une certaine idée de la sexualité qu'on retrouve plus dans les porno que dans la vraie vie. Ce qui entraîne beaucoup de frustrations.
Les personnages de mon roman veulent vivre par dessus-tout, et c'est vrai, ils utilisent beaucoup le sexe pour avoir cette sensation d'être en vie. Mais c'est une réaction tout à fait normale. On ne peut pas reprocher aux gens de mal s'y prendre. Ce sentiment d'être en vie est une des choses les plus difficiles à obtenir dans la vie, je trouve. Il y a plusieurs manières de s'en convaincre, et le sexe en est une. Mais ce n'est pas la seule, bien heureusement !

-Tu écris sans tabou, as tu des références littéraires qui t'ont permis d'être aussi libre dans l'écriture?
Je lis beaucoup de choses, pas forcément gay, d'ailleurs. Mais en réalité, le premier écrivain qui m'a bouleversé était Hervé Guibert, avec une écriture simple et à la fois très raffinée, accessible et exigeante. C'est cet auteur qui m'a fait comprendre qu'écrire était moins une épreuve de rédaction que la mise en place d'un récit sincère, en toute simplicité. Je lui fais d'ailleurs la blague d'appeler mon roman "Des Chiens", lui qui en avait écrit un qui s'appelle "Les Chiens".
C'est en lisant Hervé Guibert que je me suis dit "merde, moi aussi je veux écrire". Clin d’œil du destin, j'ai lu dans les commentaires de la critique que Têtu me consacre ce commentaire de MysteriouScow "En tout cas ça m'a donné envie d'écrire :)". C'est assez bouleversant de lire ça, de voir qu'on a transmis le sentiment qu'un auteur nous avait donné, non?

- Est ce que publier chez "les Editions Gaies et Lesbiennes" est un choix pour toi ? Quel sens ça a aujourd'hui de publier chez un éditeur gay ?
C'est une bonne question, je trouve, que la question des éditeurs Gay. Un des personnages (Léo) dit dans le roman "C’est vraiment un milieu sclérosé. En fait, ça n’existe pas, ce ne sont pas des éditeurs les mecs qui tiennent ça. Ce sont des auteurs ratés qui se sont dit « Je vais créer ma maison comme ça mon bouquin sera publié ».
Si je fais dire cela à Léo, c'est que je le pense.
La situation de l'édition homo en France est dramatique! Le marché est partagé entre deux ou trois amateurs qui balancent un peu toujours la même sauce, sans aucun courage politique ni littéraire, quand ce ne sont pas directement leurs propres romans qu'ils publient! Ce qui est franchement gerbant, c'est que leur pratique pollue depuis le début des années 2000 tout ce qui est étiqueté Gay ou Lesbien, et qui devient automatiquement de la "mauvaise qualité".
C'est scandaleux, notamment pour les Éditions Gaies et Lesbiennes, mon éditeur, une structure qui a peut-être les défauts de sa petite taille, mais qui défend cependant une vraie ligne éditoriale, avec courage. Je ne dis pas cela parce que je suis dans cette maison, je dis cela parce que non seulement ils ont le courage de me publier, mais qu'en plus ils me laissent écrire ce que j'ai mis dans la bouche de Léo.
Je crois qu'on peut faire des publications Gay et Lesbiennes de qualité, je crois même qu'il y a un lectorat qui n'attend que cela, et qu'il est temps qu'on arrête cette pollution néfaste et l'idée reçue qui en découle.

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