Haiku au fil de l’eau

Publié le 21 janvier 2012 par Lamusegalante

« Lucarne ouverte un instant »

***

 En 1905, trois compagnons décident de faire en péniche une excursion sur les canaux français. Cette promenade aurait pu être totalement banale si les personnages qui la composent n’avaient été dans une disposition particulière. Paul-Louis Couchoud, titulaire d’une bourse de la fondation Khan, revient d’un voyage autour du monde, ébloui de son contact avec les anciens sages et poètes du Japon ; le sculpteur Albert Poncin et le peintre André Faure l’ont écouté longuement parler des beautés de Basho et de Buson, et surtout de ces petits poèmes japonais encore inconnus en France que sont les haïkais, « qui réclament trois vers, totalisant dix-sept syllabes, réparties en deux vers de cinq syllabes et un vers de sept et comprenant un kigo « mot de saison ».

Imprégnés de rêves et de causeries, ils décident tous trois d’entreprendre une longue flânerie sur une péniche qui descend lentement le cours de la Seine. C’est alors que seront composés les 72 haikais d’Au fil de l’eau, présentés dans cette nouvelle édition des Mille et Une nuits par Eric Dussert. Le recueil  (non commercialisé) est publié à trente exemplaires, passe de main en main et suscite un engouement inégalé en France.

 Au fil des pages, Au fil de l’eau, est une suite de croquis sur le vif, « Dans un monde de rêve/ Sur un bateau de passage/ Rencontre d’un instant », qui traquent un quotidien minuscule parfois très concret « Les chirurgiens/Examinent l’intestin/De la bicyclette », l’expression instantanée d’un sentiment amoureux « Chéri, cheri/Ah ! Tu me fais mourir ! Douche dans le verger » ou celle de la beauté universelle « Au dessus du fleuve nocturne/La ville se silhouette./Symphonie en bleu». Ces feuillets sont une invitation à se laisser visiter par l’esprit du haïku, « fragile comme une aile de papillon », jusqu’à l’épiphanie ultime : quand le réel surgit dans sa nudité entière, à la fois éphémère et éternel, laissant l’homme tout entier à sa plénitude.

Les amateurs apprécieront à la suite les très éthérés haikus du mexicain Rafael Lozano qui sont présentés à la japonaise et une petite fiche technique pour faire ses haikus soi-même. Le livre refermé, on se laisse à savourer la simplicité d’un instant. Une image et quelques mots. Tout est dit.

Copyright Katrin Alexandre

Article paru dans le Magazine des Livres de Novembre/Décembre 2011

 ***

 Paul Louis Couchaud, André Faure, Albert Poncin, Rafael Lozano. Au fil de l’eau, suivi de Haikais. Les premiers haiku français (1905-1922). Par Eric Dussert. Editions Mille et Une nuits. 2011