Hier, grâce au « jeudi c’est gay-friendly » de Yagg, j’ai découvert le film En Secret de la réalisatrice Maryam Keshavarz qui sort mercredi prochain, le 8 février. J’étais assez impatiente car j’avais repéré ce long-métrage depuis l’année dernière, lorsqu’il était présenté au Festival du Film de Sundance. Le titre international Circumstance (circonstance/situation) est d’ailleurs bien meilleur que En secret, choix du distributeur Ad Vitam qui est quelque peu réducteur. Parce que l’histoire décrite dans ce film évoque effectivement une circonstance, à savoir une particularité qui accompagne un événement. [Spoilers] L’événement en question c’est le mariage de Mehran (Reza Sixo Safai), ancien toxico perdu qui trouve une ancrage dans l’extrémisme religieux, et de Shirin (Sarah Kazemy) la meilleure amie de sa sœur Atefeh (Nikohl Boosheri) et son amante secrète (la particularité).
La première partie du film (avant mariage) présente, via les deux personnages féminins, une jeunesse iranienne qui contourne la pression du gouvernement pour exulter via des fêtes privées. Atefeh a grandi dans un milieu aisé. Ses parents, Firouz (Soheil Parsa) et Azar (Nasrin Pakkho) qui mènent à une vie « à l’occidentale », ont d’ailleurs participé à faire la révolution de la fin des années 70. Shirin, elle, vit avec son oncle et sa tante. On l’apprendra au fil du récit, elle est orpheline – ses deux parents, professeurs à l’université, ont été tués par le régime sous prétexte d’avoir tenu des positions antirévolutionnaires. La réalisatrice pose très vite l’antagonisme de la vie de ces deux jeunes femmes qui jonglent entre soirées où l’alcool et la drogue tournent et la rigueur exigée en public (une femme qui prend un taxi seule à la nuit tombée est une femme facile, les femmes ne peuvent pas se baigner dans la mer car cela implique de porter un maillot dénudant, il est interdit d’organiser des concerts, etc). Shirin, beauté silencieuse, est aimantée par la côté rebelle d’Atefeh qui n’a pas vraiment conscience du danger de son attitude frondeuse. Leur amitié tourne rapidement à la relation physique. Cette transgression renforce leur envie de liberté qui les pousse à oser plus. Ainsi, sous la houlette d’un copain fraîchement débarquée des Etats-Unis, elles doublent Harvey Milk pour le faire tourner au marché noir et poser, à leur manière, un acte militant. La scène est d’ailleurs excellente, montrant sur un mode comique, la complexité et dangerosité de la situations des gays dans le pays.
En parallèle au parcours des jeunes femmes, la réalisatrice nous invite à suivre celui de Mehran, le frère qui, on le suppose après un cure de désintox, revient dans la maison familiale. Perdu, décalé par rapport à l’ambiance joviale de la maisonnette, agacé par l’attention sincère paternelle (Firouz, sur ses gardes, lui demande quand même de faire des analyses d’urine), Mehran se réfugie dans la religion et trouve une oreille attentive auprès d’un révolutionnaire intégriste. Plus l’on voit les jeunes filles se lâcher, plus on devine que Mehran se recentre. Il se pose d’abord en observateur, en contrôleur puis en censeur (il en vient à tabasser son ex dealer). Il devient obsédé par la beauté de Shirin. Et on en arrive donc au tournant du récit : Mehran dénonce une fête à laquelle sa sœur et Shirin participent pour faire pression sur cette dernière et la demander en mariage. Et comme l’oncle de la jeune femme cherche à la caser depuis un moment déjà, c’est joué en deux temps et trois mouvements – et ce dans le dos d’Atefeh. On entre alors dans la deuxième partie du film qui me séduit moins. Atefeh, souffre de cette union, se met en retrait jusqu’à ce que Shirin, ne supportant plus l’absence de contact, la rejoigne dans sa chambre. Sans m’étendre sur le final, dramatique mais pas tragique, le récit se resserre, mettant en avant la pression intégriste que porte Mehran.
La réalisation, notamment dans la première partie par d’habiles cuts entre scènes de la vie publique et scène de la vie privée (avec renfort musical – bonne BO d’ailleurs), plante le spectateur dans cet entre-deux que gèrent mal les jeunes femmes. La tension qui se dégage du visage de Shifrin, au regard avide pour Atefeh/fuyant pour l’extérieur, est portée par un usage (pour une fois) très efficace des gros plans. Ce que j’aime moins est la manière dont la réalisatrice traite les quelques passages fantasmés qui posent les désirs des deux protagonistes. Installées tête-bêche sur le lit, Shirin et Atefeh imaginent un futur dans lequel la première serait l’agent de la seconde, devenu danseuse à Dubaï. Ce rêve d’adolescente est illustré par une séquence semi-glamour dans laquelle les deux jeunes femmes, en robes de soirée, se tournent autour et finissent dans le lit d’une superbe villa qui surplombe la mer. Je ne suis guère conquise par ce soulignement un peu lourd et visuellement « petit-bras » si je peux me permettre (à l’inverse du passage où le frère a une crise de manque – très gros plans hypnotiques, musique lancinante, teinte rouge dominante). Du point de vue de la narration, le basculement de Mehran du côté obscur de la force aurait pu être un chouïa plus nuancé. On comprend très vie qu’il s’accroche à la religion comme il l’a fait à la drogue. Mais il n’est pas qu’intégriste, il le devient parce que c’est aussi un obsessionnel. On apprend qu’il a installé des caméras dans la maison pour espionner sa famille et sa future femme. Il manque, à mes yeux, une brève séquence où on le verrait physiquement le faire, ce qui permettrait de graduer la montée en puissance de son caractère.
Je dois confesser que, durant le visionnage, je n’est pas été particulièrement emportée et suis sortie de la séance plus emballée par ce que le film racontait que ce qu’il montrait. Et puis, ce matin, au réveil, j’y pense encore. Il faut dire, que la grosse qualité du film vient de l’excellent casting. L’ensemble des acteurs jouent particulièrement bien. Au finish, le film a clairement laissé son empreinte, sans que je n’y prenne garde. Pour un premier long, le résultat se pose là. Et, découvrant cette jeunesse iranienne, je ne peux m’empêcher de penser aux paroles de la chanson immortalisée par Françoise Hardy :
Ma jeunesse fout l’camp
Tout au long d’un poème
Et d’une rime à l’autre
Elle va bras ballants
Ma jeunesse fout l’camp
A la morte fontaine
Et les coupeurs d’osier
Moissonnent mes vingt ans
P.S. [mode je râle] Nous avions le plaisir hier au soir d’avoir la présence de Sarah Kazemy, aka Shirin, qui a éclairé l’audience sur la situation de la jeunesse en Iran. Ce fut bref. D’autant que M. Francis Huster est intervenu. Il a pris la parole pour finalement ne pas vraiment poser de question à l’actrice qu’il connait mais pour vanter les mérites du film qu’il trouve extraordinaire. Et quelle ne fut pas mas surprise d’entendre, parmi ses premiers arguments, un c’est formidable l’histoire de ces deux femmes, cette relation, « on y croit, on y croit vraiment ». J’ai envie de vous dire M. Huster que c’est quand même le contrat de base d’un film. Ce n’est pas parce que ce sont deux jeunes femmes et que la relation fonctionne à l’écran que c’est « formidablement » un plus. [/mode je râle]