Rewind: Un Nouveau Festival, Howl, The Broken Tower

Publié le 04 mars 2012 par Yccallmejulie

DANCING WITH THE SCARS

Tout d'abord, je ne peux m'empêcher de vous recommander, encore, de vous recommander de faire un petit tour au Centre Pompidou, du côté du Nouveau Festival. Oui, je vous rabâche une nouvelle fois sur cette manifestation, mais ce n'est pas faute de vous avoir prévenus qu'il me faudrait un certain temps pour explorer cette manifestation qui s'annonçait sur le papier déjà si riche. En effet, plusieurs surprises s'y sont manifestées à moi cette semaine. Tout d'abord, j'y ai pu voir un très beau spectacle de danse, Them, mis en scène et conçu par le chorégraphe Ishmael Houston-Jones, sur un texte de Dennis Cooper et une partition de Chris Cochrane. De mon point de vue de spectateur contemporain, il m'est quelque peu difficile d'avoir le recul nécessaire pour réellement saisir ce qui y a pu faire naître une controverse à l'époque de sa création, au milieu des années 80, tant le résultat brille surtout par son évidence, son dépouillement et la beauté même de son âpreté. Alors bien sûr, les mots de l'écrivain frappent, comme à son habitude, par leur virulence: sur le côté de la scène, à la fois en marge du dispositif et au coeur même de la mise en mouvements des danseurs, il lit un texte dans lequel il se fait témoin et sujet de rencontres avec des personnages, que l'on devine ou qu'ils annonce disparus, de jeunes hommes moteurs de récits courts et implacables qui trouvent issue presque inévitablement dans la mort et le désespoir. Les danseurs parcourent l'espace scénique dans des rondes comme des rencontres à la recherche d'un dialogue avec l'autre, comme autant de rendez-vous manqués, les mouvements corporels semblent appeler à un désir amoureux et aboutissent presque systématiquement dans des confrontations et échouer dans un cri sourd. Il est très probable que ce soit le fait de mon manque de connaissance de ce domaine, mais je n'ai pu éviter de penser aux bagarres entre bandes de West Side Story, sur un versant hanté et condamné, en observant ces figures de jeunes hommes épris de désirs de liberté, de révolte, d'amour et de contact humains qui leur semblent privés par leur enveloppes corporelles, comme autant d' échappatoires que des prisons.

GHOST IN THE SHELL

En m'y rendant, j'ai croisé sur mon chemin le légendaire Udo Kier, qui venait vraisemblablement de sortir d'un des tournages de Spiritismes, le projet de résurrection d'oeuvres de grands cinéastes disparues, inachevées et/ou jamais réalisées, sous la direction de Guy Maddin. Alors, en me rendant à une rencontre avec les auteurs de Jerk, en l'attendant, je suis repassé voir ce qui se tramait en bas, et j'ai pu assister au tournage de Ladies Of The Mob, projet fantôme de William A. Wellman où il y avait encore une fois Udo Kier, mais aussi entre autres Charlotte Rampling et Adèle Haenel. On pouvait notamment y voir cette dernière, affublée d'une chemise et d'un chapeau de cow-girl, qui jouait des holsters et tenait dans ses bras, comme un « vrai héros de cinéma », une jeune fille (Victoire Du Bois) pour l'embrasser, ou encore l'acteur allemand affublé d'une robe de chambre/nuisette d'un coton rêche couleur pêche, qui n'avait pas trop l'air de vouloir se faire bombarder sous les flashs qui ne manquaient de crépiter – sauf du mien hélas, du fait du piteux état de mon appareil, et c'est dans ces moments-là que je regrette de ne pas avoir un smartphone – sous l'oeil attentif, respectueux et fasciné des visiteurs. En observant le(s) décor(s, unique mais constamment « revisité » pour les besoins du « film du jour ») de cette scène hétéroclite, et les postures des comédiens, il ne faisait aucun doute que le public avait une vue privilégiée sur un des innombrabless recoins de la psyché ludique du grand cinéaste canadien. Par ailleurs, il est non seulement possible d'assister sur place à ces tournages, mais également sur Ie Net, avec un proximité peut-être même encore plus grande, du fait du dispositif des trois caméras, en direct sur le site dédié: http://spiritismes.centrepompidou.fr/. Et ce n'est pas les collaborateurs qui manquent, rendant l'expérience encore plus excitante, car on a pu et/ou on pourra encore y retrouver également Mathieu Amalric, Jacques Bonnaffé, Amira Casar, Géraldine Chaplin, Mathieu Demy, Elina Löwensohn, Maria de Medeiros, Jacques Nolot, Jean-François Stévenin, Robinson Stévenin, André Wilms et d'autres encore...

Clara Bow et Richard Arlen dans "Ladies of The Mob" (1928)

J'ai aussi pu prendre le pouls du cinéaste Sébastien Lifshitz, dont je connaissais pas encore les activités externes hors du cinéma de fiction (Presque rien, Wild Side, Plein Sud...). Ainsi ai-je pu découvrir une extension de son travail de cinéaste/plasticien en tant plasticien/documentariste à travers deux oeuvres, présentes dans le cadre de W. Sebald Fiction, la partie de l'exposition consacrée par Valérie Mréjen à l'écrivain allemand W.G. Sebald, autour du thème de la mémoire. On y trouve ainsi deux de ses travaux sur le thème de la photographie amateur, le diaporama Un Point dans le vide, ou encore une énigmatique série de photos, rassemblées sous le nom Les Parallèles. Cette dernière, composée d'une série de portraits dénichés par l'auteur aux puces de Vanves , qui mettent et sont mis en scène par deux femmes, rapprochées et séparées par les cadres, joue sur la figure du double et du vampirisme de l'imaginaire. En effet, la similitude et la variation de ces duos de clichés activent, par leur abstraction, le besoin de fiction né du regard du spectateur, qui se met à imaginer au fur et à mesure un couple, jamais ensemble à l'image et pourtant constamment associées par la duplication;  Lifshitz imagine ainsi, de son aveu même, que s'opère entre elles deux un « jeu photographique » autour de leur « amour secret », théorie qu'il s'est vu confirmer d'après d'autres images qu'il a retrouvées dans leur album, « discrètement plus suggestives » et non présentées ici, de façon à laisser libre cours à la liberté du spectateur.

Oeuvre "Les parallèles" de Sébastien Lifshitz. Crédits : (c) Hervé Véronèse

LOVE ON THE BEAT

Cette question de la place laissée à l'appropriation par l'imaginaire du spectateur est aussi au coeur de la thématique d' Howl de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, qu'il n'est besoin de présenter car cela a déjà été fait maintes fois par ici. Alors que j'attendais avec impatience sa sortie sur les écrans français, je dois confesser avoir été assez déçu du résultat. En effet, le parti pris qui instaure quatre niveaux de lecture de cet épisode de la vie d' Allen Ginsberg, soit une biographie du poète en pointillés, le récit du procès pour obscénité intenté à son éditeur, la déclamation de ses poèmes devant son public et leur adaptation sous forme de films d'animation me semblent s'enchevêtrer de façon assez aléatoire mais ne me paraissent pas assez creuser le potentiel offert par le sujet, au final assez superficiellement effleuré par le film. Ce qui m'y a le plus plus intéressé, à savoir, le recoupement d'entretiens de l'auteur, joué par James Franco, présente de façon assez intrigante les vues du poète sur son processus de création, au-delà de l'affaire en cours,  aidé en cela par le charme et le charisme de l'interprète, et interpelle par sa facture documentaire. Or, leur impact est relativement banalisé par la redondance de la retranscription des minutes du procès, très conventionnelles sur la forme et, même si elles sont directement issues de la réalité des échanges, proscrivent justement cette place laissée la réception par le public (de l'époque, comme du film) et font pencher le ton du récit sur un mode plus prosaïque et scolaire, avec l'emphase portée aux arguments sur la bienséance et/ou sur la tolérance. Leur caractère propre sur soi et bien-pensant fait que l'intérêt de l'échange intime de l'un est assez annihilé par l'autre, alors que l'un et l'autre répondent à un désir évident d'authenticité, pour autant, il ne permet à la problématique de société de faire vibrer le spectateur, quand bien même on aurait tort de penser qu'elle est aujourd'hui dépassée et demeure actuelle. Mais surtout, l'agencement de ces strates narratives ne permettent de faire vibrer le texte lui-même lorsqu'il est déclamé devant son public, dont le film montre les hochements de tête bien entendus et assez agaçants parce qu'assez sentencieux en ce que, en se projetant directement à la place du « vrai » public, c'est-à-dire celui du film même, ces représentations - en et - du public conforment un espace d'appropriation pourtant nécessaires à tout récepteur des mots du texte. Le pire est peut-être toute la partie d'animation, aussi laide d'un point de vue esthétique qu'elles plaquent littéralement des illustrations sur les mots du poème, alors que le film fait justement l'éloge de la liberté de chacun à le penser par soi-même, contre la censure, et donc contre l'illustration plate. Ainsi, ces procédés - discours sur le discours, mise en relief du suggéré - qui sont proches de ceux convoqués dans The Celluloid Closet ne marchent, de mon point de vue, pas ici, et gâchent quelque peu un film qui à la fois enserre son sujet et ne le laisse pas suffisamment s'épanouir.

AU-DESSUS DES CAPITALES, DES IDEES FATALES

Dave Franco (Harold "avant Hart" Crane)

Paradoxalement, je trouve plus de qualités au film sur une autre figure de la poésie américaine mise en scène et interprétée par James Franco, soit Hart Crane dans le The Broken Tower, adapté d'un livre de Paul Mariani. Sous des allures de biopic plus simple, le film présente quelques épisodes de la vie du poète ainsi que de son art poétique particulier, dans une forme à la fois assez austère, dans son sublime noir et blanc élégiaque, et mettant assez bien en abyme la création même, dans son rythme, traversé de ruptures abruptes autant que de passages d'une longueur - une lecture du poème en public se fait très éprouvante, mais semble-t-il pour le personnage même - et sur un rythme assez déstabilisants mais qui mettent bien en relief l'isolation progressive du poète dans son monde, qui pourtant ne manque pas d'être exploré aux quatre coins, de New-York à Paris en passant par Mexico. Découpé sous formes de « voyages » (qui font référence au recueil de poèmes pour son grand amour, un marin du nom, interprété par Michael Shannon), le film est scandé par ses plages introverties et heurtées qui suivent le poète dans l'émancipation de l'homme par rapport à son désir profond d'exister dans son essence profonde et par-delà les codes établis: la figure paternelle omniprésente ( le film est d'ailleurs dédié au père de James Franco), l'ancrage étouffant d'une vie bien rangée (il travaillera notamment, comme Ginsberg, dans une agence de publicité), et également une sexualité qu'il ne semble à la fois n'avoir jamais renié mais jamais pu totalement saisir (le titre du film fait référence à une des ses dernières relations, hétérosexuelle mais qui, n'empêchant pas son moi homosexuel de persister, participait à son déchirement et ses ravages intérieurs)... Du premier « voyage », celui qui suit l'affirmation du garçon (alors interprété par son jeune frère, Dave Franco) en l'homme qu'il désire devenir, Harold devenant ainsi Hart (le grand frère, James Franco lui-même, donc) jusqu'au dernier, celui qui mènera à son suicide, le film est vraiment touchant dans sa volonté de suivre le personnage au travers de ses multiples « voyages », des évasions de cadres géographiques en épisodes amoureux, en passant par l'incessant rappel à l'ordre de la pauvreté et de la nécessité pour la contourner de mettre en sommeil sa raison d'être véritable, en n'offrant qu'assez peu de perches au spectateur, autre que les mots du poète, que l'on retrouve de plus en plus en raréfiés au fur et à mesure que l'homme se débat dans son existence, comme si le souffle que son art lui inspirait, les battement de coeur qu'il constituait, ne pouvaient en dépit de tout s'échapper de sa personne, même au bord du gouffre et de la dépression. On a ainsi là un film qui va bien au-delà de la simple « illustration »: exigeant mais humble, fragile et rugueux, tout en rendant hommage de façon discrète mais omniprésente au caractère même de la singularité de l'auteur. J'espère ainsi que le film parviendra à se frayer un chemin sur nos écrans un jour, même si, et ce même aux Etats-Unis, les affres de la distribution ne lui sont toujours pas vraiment cléments.

James Franco (Hart Crane)