Hildy J. est une femme brillante, à la fois en avance sur et en phase avec son temps. Elle parle avec une gouaille inimitable, un débit de mitraillette, un charme volatile mais percutant et ensorceleur, ne craint pas la domination des hommes, mais juste à leur montrer qu'elle peut être l'égale, voire plus, des Henry C., Jean-Marc L, Stéphane B. et autres Serge D. de ce monde. Elle n'a toutefois pas besoin de les imiter, elle est juste satisfaite d'être elle-même et en ça, ironiquement, elle pourrait très devenir califesse à la place de la califesse, ou très vite suppléer à l'arriviste, la « déjà vieille » Eve H. Enfin, peut-être aussi est-elle un peu prétentieuse sur les bords. [La Dame du vendredi]
Depuis partout, et toujours, le cinéma n'a cesse de célébrer la suprématie de la jeunesse, de l'adolescence et la post-adolescence, comme si elle représentait le climax de l'existence, sa quintessence, sa raison d'être. Il semble aussi difficile hier qu'aujourd'hui de dépasser la simple fonction de « divertissement »: le grand spectacle étant surtout admiré pour ses vertus d'échappatoire. Ah, puissance de l'éphémère! La technologie se perfectionne comme pour toujours plus relativiser la qualité de la notion de « réel » et la marque du temps. Or, que se passe-t-il quand on a justement passé sa jeunesse à consumer la vie par les deux bouts, comme si demain ne pouvait être qu'autre chose qu'une abstraction intangible, une impossibilité tactile qu'il fallait ignorer pour « embrasser le présent » qui n'existerait que par lui-même, et qu'on se réveille un jour, adulte désaxé dans un monde qui vit à sa propre allure sans vraiment s'attacher à la myriade des infinies particularités des existentialismes appréhendés selon et pour chaque être? Comment se reconstruire quand on s'est peu à peu laissé dériver des autres et de leur inexorable marche en avant? Comment se relever après avoir subi la meurtrissure de l'échec personnel et qu'on a plus la même force qu'auparavant pour construire et entreprendre, ou peut-être même le courage, la témérité que nous permettait notre inexpérience?
Ces questions sont toutes savamment travaillées autour du très beau film du norvégien Joachim Trier, Oslo, 31 août, adapté du même roman de Drieu La Rochelle qui servit Le Feu Follet de Louis Malle. On y suit ici les vingt-quatre heures de la vie d'Anders (Anders Danielsen Lie) un jeune trentenaire tout juste sorti de cure de désintoxication, issu d'un milieu plutôt aisé mais et qui s'est perdu en cours de route dans le confort de la chaleur trompeuse de l'héroïne. Jeune, mais plus tout à fait, et ne se sentant certainement plus comme tel, il reprend contact avec ses proches, tous plus ou moins installés dans leurs petites vies confortables, et s'obstine à reprendre contact avec celle qui fut son grand amour. Instruit et intelligent, il ne perçoit pas forcément ses qualités comme étant forcément un avantage. Chez lui, elles se traduisent par un trop-plein de lucidité qui l'empêchent d'avoir la force de lutter, et en cela, l'aveuglent sur la réalité ou son manque de potentiel (qu'il semble voir, peut-être à tort, trop clairement que les autres).
Aussi joyeux qu'est le film, il ne tombe jamais dans la sécheresse coupante qu'on peut attendre d'un projet sur un ex-drogué. Son addiction, d'ailleurs, est sûrement moins le sujet principal que sa solitude, ou du moins son profond sentiment de solitude, qui l'empêche d'émerger ou de s'immerger dans cet état, comme le montre une scène pathétique, mais sans jugement, au début. Cette solitude est accrue par l'incapacité que ses liens les plus tangibles avec sa « vie d'avant » semblent incapables de réellement percer le mystère de sa mélancolie à la fois criante et sourde. Son meilleur ami ne cesse de mettre les pieds dans le plat par excès de légèreté. C'est ce qui se passe paradoxalement le mieux pour Anders, mieux que la précaution inconsciemment cruelle bien que prudente que d'autres, comme sa sœur, tiennent. Cette soeur, qui est si bien installée dans sa vie qu'elle prend peur d'être « atteinte » de déception, envoie ainsi une ancienne amie avec qui elle vient de renouer déjeuner avec son propre frère, sans se douter de l'impact (ou le minimisant) de l'envoi d'un intermédiaire. Les autres amis sont presque installés avec maris femmes et/ou enfants, ou au pire, ou dans l'acceptation du status quo opéré par le travail du temps et de la nécessité de l'avant. Quant aux promesses offertes par la rencontre d'une ancienne petite amie, ou d'une jeune fille tout juste à l'aune de sa « vie d'adulte », elles renvoient le trentenaire à son inquiétude étrange mais constante, à l'amertume d'un miroir trop évanescent pour ne pas lui rappeler la fragilité de cette insouciance.
Il ne faut pas croire que le film est glauque et désespéré dans l'absolu, la tendresse est proéminente même, que dans ce soit dans le regard du cinéaste sur son personnage, dans la mise en scène, dans l'ambiance et le ton du film. Or, c'est peut-être cette subjectivité qui rend le parcours plus angoissant pour le spectateur, comme si toute cette douceur ne pouvait être que fausse et destinée à être détruite, comme une tension sous-jacente que l'on devine par les choix de scénario et montage. Le film est très sophistiqué à ce sujet. On n'est jamais dans l'exposé et, souvent, la mise en scène se projette dans le regard, l'imaginaire de son protagoniste (la scène du café où il écoute, s'absorbe des expériences autres, ou invente leurs possibles). En somme, voilà un très beau film sur « tous les idées, les maux abîmés », sur le fait d'être d'une « génération désenchantée » - au passage, la bande-son est excellente.
Le film faisait partie de la selection « Un Certain Regard » l'année dernière et on espère que le cru cannois de cette année offrira d'aussi belles surprises. Un mois avant l'annonce des sélections officielles, les rumeurs courent inévitablement et progressivement sur toutes les lèvres, se dégonflent ou s'affirment. On a en tout cas eu le top départ cette semaine, avec l'annonce du film d'ouverture, Moonrise Kingdom, de Wes Anderson, qui, sans grande surprise, promet donc une belle montée des marches dès le lancement: Bruce Willis, Edward Norton, Frances McDormand, Harvey Keitel, Tilda Swinton et Bill Murray.
Les annonces des distributeurs précisent d'autres films sur les radars: Cosmopolis de David Cronenberg, avec Robert Pattinson, Paul Giamatti, Samantha Norton, Sarah Gaddon, Mathieu Amalric et Juliette Binoche, annoncé pour le 23 mai, De Rouille et d'os, de Jacques Audiard, avec Marion Cotillard, Matthias Schoenarts, Céline Sallette et Bouli Lanners, avancé au 17 mai, ou encore Sur la route de Walter Salles (voir l'article de jaydee). On peut voire même espérer The Master de Paul Thomas Anderson, avec Joaquin Phoenix, Philip Seymour Hoffman, Amy Adams et Laura Dern, qui semble terminé – les frères Weinstein envisagent sérieusement de sortir le film en octobre, mais on peut d'ores et déjà faire une croix sur The Grandmasters de Wong Kar-Wai, l'Arlésienne déjà attendue l'année dernière et qui ne pourra être prête avant grand minimum décembre. Il y a bien évidemment nombre d'autres rumeurs plus ou moins bien fondées, mais attendons un peu avant de se gaver dans le jeu des pronostics.