Hier soir, dans le cadre du "Jeudi, c'est gay-friendly" organisé par Yagg, j'ai découvert, comme les spectateurs de la salle 1 pleine à craquer du Gaumont Opera Premier, le troisième film de Virginie Despentes : Bye Bye Blondie. Avant de m'étendre sur ce projet attendu par la communauté et les fans de cette figure littéraire punk-trash qu'est Despentes, je me dois de préciser que je n'ai pas lu le roman éponyme duquel est adapté le film.
Ceci étant posé, la première chose que j'aurais envie d'écrire est : Bye Bye Blondie n'est pas un film lesbien. Quoi? Mais, elle a fumé la neige YCCallmeJulie? Le pitch c'est quand même ça : "Gloria (Béatrice Dalle) et Frances (Emmanuelle Béart) se sont rencontrées dans les années 80. Elles se sont aimées comme on s'aime à seize ans : drogue, sexe et rock&roll. Puis la vie les a séparées, et elles ont pris des chemins très différents. Vingt ans après, Frances revient chercher Gloria..."
J'argumente donc : Bye Bye Blondie raconte une histoire d'amour, avant tout. Et Despentes, qui nous fait plaisir - précisant hier soir que la visibilité des personnages gays et lesbiens au cinéma se réduit au profit d'une production familiale, a pris la décision de faire d'un des protagonistes de son roman une femme. Mais le film n'est pas pensé comme un film lesbien, comme une de ces productions qui veut absolument parler des LGBT, chose qui n'est pas un mal en soi. Mais Dieu que cela fait du bien de voir un film où il se trouve que l'intrigue pourrait aussi bien marcher avec un couple hétéro qu'avec un couple homo. Pour ma part, c'est libératoire : c'est juste comme ça et il n'y a pas besoin de justifier.
Autre réflexion que j'ai envie de vous soumettre à propos de Bye Bye Blondie : une grande réalisation avec une mauvaise histoire ne fait pas un bon film et, à contrario, une bonne histoire avec une réalisation moyenne ne fait pas un mauvais film ; et c'est cette dernière proposition que je retiens. L'intrigue est puissante en ce qu'elle réussit le tour de force de nous faire croire à une rencontre improbable - entre ce qu'on qualifierait dans les années UMP d'une ratée et d'une bourge décomplexée - qui tient sur un seul argument : l'esprit punk. Mais c'est quoi l'esprit punk ? De ce que nous montre Despentes, c'est d'abord la rage adolescente d'une Gloria hystérique, boostée au Berurier Noir, qui fait un séjour en HP parce qu'elle n'a pas la capacité de la mettre en veilleuse comme Frances, elle, issue de la bourgeoisie et qui s'oppose au carcan familial par l'expression de son homosexualité. Si rencontre il y a, c'est parce que Frances tombe sous le charme du "no limit" de Gloria qu'elle séduit par une attitude de petite butchette sûre d'elle assez savoureuse. Ce qui unit les deux adolescentes, c'est la liberté, l'absence de responsabilités sociales que représente l'esprit punk (au regard de ce nous impose la société moralisante d'aujourd'hui, on a tous envie de traîner sur un terrain vague, à boire de la Kro en écoutant "Beaucoup de libertés" de la Souris Déglinguée) . Si la réalisation n'est pas sidérante, Despentes rend un hommage nostalgique à la période punk dans un montage à l'image salie et granuleuse qui résume le bonheur adolescent des deux héroïnes et se perd en gros plans sur des visages pépères que viennent rehausser des coupes de cheveux qui appellent, aujourd'hui, le sourire.
Si je parle d'une réalisation moyenne, c'est surtout du au premier quart d'heure du film qui, il faut bien le dire, m'a fait pousser un : "oh merde, c'est quoi ce téléfilm?" Béatrice Dalle balance des affaires dans la cour d'un immeuble, signe de la rupture avec son mec, avant de rejoindre un squat bar/atelier d'artiste. Là, via notamment le personnage de la serveuse, Despentes introduit le personnage de Frances (et de son mari) qui trône sur la couverture d'un magazine. On a à peine le temps d'apprendre que Gloria connaît Frances et hop, cette dernière se pointe sur le palier. Bref, ces retrouvailles sont téléphonées et torchées. S'ensuit rapidement un premier flash-back (le film alterne constamment entre le temps présent et le temps passé du comment et ce qu'ont vécu les deux adolescentes) qui nous montre Gloria faire une crise d'hystérie sous les regards ahuris de ses parents. Une autre angoisse me monte : "zut, j'aime pas ce déballage de pathos". Mon a priori se renforce quand je subis à l'image une Béatrice Dalle et une Emmanuelle Béart, jouant - toujours dans ce premier quart d'heure - assez mal les affres de la passion.
Puis, plus on avance et plus le film se met à respirer. Via d'abord la présence de Pascal Gregory, mari de convenance et romancier gay, qui entretient néanmoins un véritable amour/amitié avec Frances. Sa préciosité (en opposition à la férocité de Gloria) apporte quelques saynètes rafraichissantes, notamment celle de son rituel japonais d'auteur bloqué. La fraicheur vient également des flash-backs et de l'excellent jeu, pour le coup, de la jeune Gloria (Stéphanie Sokolinski) et de la jeune Frances (Clara Ponsot).
Enfin, je voudrais saluer le choix de Despentes : même si je ne suis pas renversée par le jeu de Dalle et de Béart, je trouve que symboliquement le casting est réussi. Les deux actrices sont deux beautés, deux révélations des années 80 : l'une avec 37,2° le matin (1985) et l'autre avec Jean De Florette (1986). Despentes est connue pour son goût de la phrase choc. La violence dans Bye Bye Blondie n'est pas verbale mais visuelle : oui, c'est le choc que de voir ces deux visages en gros plans, qui sont marqués, ont perdu leur beauté d'antan. Et ce n'est pas un hasard si, au cours d'une scène de rupture dans une boîte lesbienne, Despentes glisse une reprise par Sasha Andres et Lydia Lunch du titre de Léo Férré : "Avec le temps". Oui tout fout le camp, y compris le physique. Alors que reste-t-il ? l'amour. Despentes nous sert un happy-end revendiqué auquel on croit, malgré les gueules vieillissantes, malgré les différences sociales, malgré les conventions. Et le titre qui me vient à l'esprit pour décrire cet amour ne peut être que celui chanté par Brel :
Quand on n'a que l'amour
A s'offrir en partage
Au jour du grand voyage
Qu'est notre grand amour
Quand on n'a que l'amour
Mon amour toi et moi
Pour qu'éclatent de joie
Chaque heure et chaque jour
Quand on n'a que l'amour
Pour vivre nos promesses
Sans nulle autre richesse
Que d'y croire toujours
P.S. : je ne vous colle pas la bande-annonce du film en fin de post, parce que franchement, je ne trouve pas qu'elle donne envie de voir le film et c'est bien dommage.