Fiche technique :
Avec Jean-Paul Doux, Philippe Vallois, Jean-Lou Duc, Georges Barber, Manolo Gonzales, Alexandre Grecq, Eric Guardagnan, Walter Maney,
Patrice Pascal, Yvan Roberto et Nicole Rondy. Réalisé par Philippe Vallois. Scénario : Philippe Vallois.
Durée : 90 mn. Disponible en VF.
Résumé :
Un jeune cinéaste, Philippe Vallois dans son propre rôle, inspiré par l’amour qu’il porte à un garçon, Johan, décide de le mettre en scène
dans un film. Mais Johan est arrêté juste avant le tournage. Le jour du premier clap, il n’est pas au rendez-vous. Il est en prison. Le film se fera quand même. Sa construction est faite du « tricotage » du film en train de se faire sous nos yeux, avec le film que l’auteur rêvait de faire à la gloire de son
« égérie ». Nous sommes constamment entre le réel et la fiction. Le réalisateur recherche à travers d’autres celui qui est absent. Sa quête le conduit dans les milieux homosexuels
les plus divers dont on ne peut que constater l’optimisme et l’étonnante vitalité. Il évoque le film qu’ils devaient faire ensemble. Portrait en creux, Johan finit par être recréé par ses
amis, ses ennemis, ses remplaçants. Succession de séquences de factures différentes où se mêlent reportages, fictions, spectacle... La dernière scène du film est très réussie : toute l’équipe
de tournage se donne rendez-vous devant la prison. Johan va être libéré. Le mot « Fin » apparaît à l’écran avant sa sortie, nous ne verrons jamais Johan…
L’avis de Bernard Alapetite
:
Comme le déclare Philippe Vallois, dans l’introduction du passionnant Secrets de tournages, le supplément de cet
indispensable DVD : « Le plus difficile est de se remettre dans l’ambiance de l’époque... » Petits malins des années 2000, damoiseaux à l’esprit fort, cette galette n’est
pas pour vous. Mais si au contraire, vous êtes curieux du vécu passé des gays dans ces années lointaines de la Giscardie triomphante, d’après la culpabilité et d’avant le sida, suivez le
charmant guide qu’est Philippe Vallois. Vous visiterez l’histoire et les lieux mythiques de la communauté, découvrirez le « pédéland » de 1975, au temps des vespasiennes, du
drugstore Saint-Germain-des-Prés et, déjà, du jardin des Tuileries qui avait encore ses bosquets ! Vous vous extasierez sur les costumes d’époque : les pantalons pattes d’éph’ avec
poutre apparente, les slips kangourou, les chemises près du corps avec col pelle à tarte, mais soyez vigilant, car les protagonistes de Johan ne
gardent pas longtemps leurs atours exotiques. Pas de chichis, nous ne sommes pas dans un film américain avec nudité frontale, interdite dans Johan, mais ça bandent en noir
et blanc et en couleurs, ça s’enculent, ça se roulent des pelles à vous « karchériser » les amygdales, ça se malaxent le fessier avec la dernière vigueur, et même scoop du scoop,
vous aurez droit à un fist-fucking des deux poings, avec son direct, une première à ma connaissance (mais elle est loin d’être encyclopédique dans le domaine…) au cinéma, « X »
compris. Le trivial n’est pas exclu : vous participerez même à une chasse aux morpions… Enfin, vous assisterez à la confession candide d’un sadique et vous vous apercevrez que Strip-tease (l’émission culte de France3, DVD MK2) n’a rien inventé !
Après cet inventaire non exhaustif de ce que vous trouverez dans Johan, il faut tout de même parler de ce qui ne s’y trouve pas. La grande surprise, c’est de n’y trouver presque
aucun écho de l’extrême politisation d’alors, mis à part un court propos sur la situation des homos cubains, influence sans doute de Nestor Alemendros, le grand chef op’ à l’époque du cinéma
français, lui-même gay et cubain. Il est alors ami de Philippe Vallois. Donc pas de FHAR, pas de pédés révolutionnaires. Vous dites apolitique, ce qui subodore de droite comme souvent les
listes électorales qui se réclament de ce flou ? Pas vraiment, nous ne sommes pas non plus chez les nostalgiques de la gestapette qui sévissait encore en ces temps reculés. C’est d’autant
plus surprenant cet apolitisme que la politique, au sens noble du terme, sera loin d’être absente dans d’autres films du cinéaste. Encore une originalité de Philippe Vallois : il s’est
politisé quand tout le monde se dépolitisait !
C’est seulement une sorte de journal filmé d’un jeune mec, que sa belle gueule permet de réaliser son rêve : tourner un film. À ce propos, en cette période de grande fracture
cinéphilique, pas non plus d’échos de cette moderne bataille d’Hernani. Philippe Vallois, sans le savoir, est le grand précurseur de l’autofiction cinématographique, vingt ans avant Rémi
Lange et trente avant
Tarnation. Sauf qu’avec lui, c’est heureusement beaucoup plus ludique.
Avec le recul, on s’aperçoit que Johan, avec maintenant son inséparable Secrets de tournages, est le premier volet de la saga autobiographique du cinéaste.
Il lui donnera une suite, près de vingt-cinq ans plus tard, dans une tonalité toute différente, avec On dansait sous les bombes, sous-titré « Deuils croisés », où
il mêle le deuil de son ami Jean, mort du sida, avec celui de
Beyrouth détruite. Le troisième épisode, Le Caméscope est un tombeau, au sens littéraire du terme, surréaliste
pour Jean. Si le précédent chapitre était une sorte d’adieu à la vie, celui-ci est un peu le film de la culpabilité d’un ressuscité, du survivant qui se pose cette obsédante question :
pourquoi est-il mort et pas moi ? Avec Un
Parfum nommé Saïd, chant d’amour au Maroc et aussi à un beau marocain, le cinéaste retrouve l’alacrité qui irriguait tout
Johan. Un nouvel épisode est annoncé, Sexus dei ; espérons que ce ne sera pas le dernier. Avec beaucoup d’habileté sous une apparente naïveté,
Philippe Vallois avec ces quelques films – parfois maladroits mais toujours novateurs (beaucoup de spectateurs auront découvert avec Johan les poppers) et émouvants – nous
aura fait parcourir quarante ans d’amour gay.
Si les films de Philippe Vallois sont entre autres des inestimables témoignages sur l’évolution de la sensibilité gay en France, il est cependant intéressant de noter combien l’itinéraire
de leur auteur est singulier, alternant une grande naïveté (feinte ?), un optimisme revendiqué et la plus grande noirceur. Comment passe-t-on de la légèreté de
Johan au tragique de Nous étions un seul homme ? Là est le grand mystère d’un créateur plus profond qu’il ne veut le laisser croire.
Il faut tout de même prévenir le voyageur dans cette œuvre que même s’il fait fi de tout cynisme, il aura tout même parfois le sentiment de voir Sodome et Gomorrhe filmé par le ravi de la
crèche. Il faut également préciser que Johan est dans l’esthétique underground de l’époque. C’est-à-dire filmé souvent avec les pieds. Mais l’hétérogénéité de la réalisation
nous offre de belles surprises, tel ce magnifique plan où l’un des truchements de Johan se prélasse lascivement sur un canapé art déco sous une grande toile représentant des nus masculins. Il
faut tout de même beaucoup d’ingénuité pour suivre le réalisateur quand il nous parle de
New York en nous montrant Barbès ! Philippe Vallois nous apprend qu’il sort de l’école Louis Lumière,
la pépinière des chefs op’ français. Alors de deux choses l’une : ou notre cinéaste n’a pas appliqué ses cours pour le tournage de Johan ou l’enseignement de la-dite
école s’est grandement amélioré depuis trente ans ! Vallois nous prouvera avec Nous étions un seul homme qu’il est capable de faire des « images propres » et même des
magnifiques et baroques, en 1991, dans son Nijinski.
Rubrique carnet mondain, on reconnaît, au début du film, Pierre de « Pierre et Gilles » avant leur rencontre.
Laissons le dernier mot à Jean-Louis Bory, grand admirateur de Johan : « Quelles que soient les amours, cette absence entraîne la quête et l’inquiétude. Mais il
appartient peut-être aux amours homosexuelles d’ajouter à l’entonnoir tourbillonnant de l’absence : le hors-la-loi qui menace l’amour. Comment lui échapper ? Par la lucidité et la franchise
du regard. »
L’avis de Jean Yves :
Un cinéaste inspiré par l'amour qu'il porte à un garçon, Johan, décide de le mettre en scène
dans un film. Mais Johan est en prison. Le film se fera quand même…
Johan aurait dû être l'interprète du film que le narrateur veut tourner : il ne sera que l'Arlésienne du film de Vallois. Il sera sans cesse question de lui, de sa beauté, de ses qualités,
mais jamais nous n'aurons le bonheur de le voir apparaître.
Le cinéaste est donc en panne d'interprète, il lui faut trouver un remplaçant. Sa quête le conduit alors dans les milieux homosexuels : amis, ennemis, remplaçants de Johan. Mais après avoir
fait le tour du milieu gay qui inclut l'inévitable fille à pédés et la maman compréhensive au discours plein d'intelligence, il devra se résigner à attendre la libération de Johan.
Malgré les conventions aliénantes du ghetto, semble dire Philippe Vallois, le cœur a encore sa place et l'amour de deux êtres peut triompher.
Avec son air de reportage, ou même parfois de cinéma-vérité qui nous fait passer des Tuileries (comme si Vallois rendait un hommage malicieux à ce lieu) au sauna, du sauna aux fantasmes
dernier cri, Johan est une histoire d'amour entre un jeune cinéaste et son ami incarcéré.
Ce film datant de 1976 n'a rien perdu de son intérêt : autant par l'originalité de son découpage que par son aspect documentaire sur les changements qui commençaient alors à bouleverser le
mode de vie homosexuel en France. Ce qui aujourd'hui est devenu banal même si tout le monde n'y est pas accroché (poppers, gadgets multiples, conformisme d'une nouvelle uniformisation de
l'apparence, etc.) était encore à l'époque très marginal.
La petite histoire : À sa sortie, en 1976, Johan faillit être classé X, si le réalisateur n'avait consenti à la coupure de quelques phallus.
Interview de Philippe Vallois par Hugues Demeusy (La Lucarne)
HD : Bonjour Philippe, racontes-nous comment est né Johan... ?
PV : Je viens de Bordeaux et, comme tout bon pédé provincial, j’ai débarqué à Paris en 1968 (!), plein d’ambitions et surtout, celle de réussir dans le cinéma.
J’avais eu le concours de l’Ecole Louis Lumière à Vaugirard, et j’en ai donc suivi les cours. J’ai eu la chance d’obtenir une bourse d’un organisme (le GREC), pour réaliser mon premier
court-métrage, Elisa répète, fait avec des copains de l’école et avec très peu de moyens. Ce court a été projeté à Avignon, lors du Festival. Là, j’ai rencontré Bernard Lefort, qui
venait d’être nommé directeur de l’Opéra. Il est tombé amoureux fou de moi. Ensemble, nous avons beaucoup voyagé et j’ai rencontré grâce à lui des personnages remarquables. Mais je ne voulais
pas être un gigolo, j’avais le désir de faire des choses. J’ai commencé à réaliser des portraits filmés de personnalités artistiques pour la
Gaumont (notamment Marcel Jouhandeau, Hervé Bazin,
Ionesco...). J’ai ensuite conçu avec une bande de potes un premier long-métrage intitulé Les Phalènes, où trois filles enfermées dans un appartement voient entrer des personnes
atypiques et font leur connaissance. Il y avait entre autres un superbe travesti, Julia, et un jeune routier dont j’étais amoureux. Ce film a été projeté au cinéma le Seine, à Saint-Germain.
Très transgressif dans son propos, le film a été interdit aux moins de 18 ans. Je suis ensuite parti aux Etats-Unis où j'ai découvert une nouvelle vision de la vie gay beaucoup plus libérée,
déjà obsédée par le culte du corps. J’ai visité New-York, San-Francisco, Los Angeles... J’ai participé à ma première gay pride. En rentrant à Paris, motivé à fond par cette découverte, j’ai
eu très envie de tourner un film sur la vie des homosexuels à Paris, afin de normaliser les choses, et de mettre en lumière ce qui était dans l’ombre.
HD : En effet, il faut se remettre dans le contexte de l’époque, où il n’y avait eu aucun film traitant de l’homosexualité en France. C’était donc un
véritabe défi de réaliser Johan. D’ailleurs, Johan était-il un personnage réel ?
PV : Absolument, je l’ai croisé dans un restaurant. Il était magnifique, habillé de cuir, en militaire, avec du strass, très "mauvais garçon", mais très sensuel
au lit. Je lui ai proposé de faire un film sur lui, et sur notre relation. Il a accepté, mais dans sa folie des grandeurs, il a exigé des décors somptueux... Evidemment, je n’avais pas de
budget. Par contre, j’avais rencontré un chef-opérateur, François About, gay lui aussi, prêt à me suivre dans l’aventure. Entre-temps, Johan a été arrêté et mis en prison, à la Santé. C’était
l’été... J’ai pris la décision de faire mon film sur Johan, sans Johan. Le tournage a donc démarré sans vrai scénario, avec une équipe technique réduite mais efficace, des assistants "amis"
et des "acteurs" non professionnels, castés sur les quais ou ailleurs. Au-delà du personnage de Johan, à moitié fantasmé, notamment son expérience dans la légion, on découvre la vie "gay" des
années 70, en mêlant fiction et reportages comme cette drague aux Tuileries. Il y avait aussi beaucoup de scènes de sexe "hard", qui ont été coupées pour éviter le visa de censure. Ma voix
"off" raconte l’histoire de cette liaison peu ordinaire.
HD : Etais-tu conscient, en tournant, que tu faisait à la fois ton coming-out, et que tu réalisais un film "historique", témoignage des années 70 et
premier film montrant frontalement l’homosexualité ?
PV : J’étais inconscient, fougueux et très amoureux. J’ai tourné sans véritable fil conducteur, si ce n’est cette quête de la véritable histoire de Johan, avec
les moyens du bord... Mes amis assistants étaient très fiers d’être sur un tournage. En ce qui concerne le coming-out que vous évoquez, il faut se remettre dans le contexte des années 70 où
les médias étaient très peu nombreux Ce film devait rester dans un circuit "underground", donc, je me suis surtout laissé porter par mon enthousiasme et mon opiniâtreté... et j’ai fini ce
film, alors que Johan était toujours en prison ! Il a été distribué dans quatre salles à Paris et une à Marseille. Il n’a pas vraiment eu de succès car, comble de malchance, il y a eu à
ce moment-là une canicule insupportable à Paris. Et à l’époque, les cinés n’étaient pas climatisés. Par contre, je suis fier d’avoir été sélectionné par le Festival de Cannes, où le film a
été très bien accueilli !
HD : Il y a des scènes emblématiques sur les pissotières, les fameuses "tasses", qui sont de véritables documents d’archives ?
PV : Oui, mais sur le moment, je filmais ce qui faisait mon quotidien, ce que je voyais et ce qui constituait notre vie marginale..
HD : Pourquoi cette association entre les images tournées en noir et blanc qui traduisent le quotidien et ces passages oniriques en couleurs, qui font la
singularité de ce film ?
PV : J’avais quelques rouleaux de pellicules couleurs que j’ai utilisés effectivement pour certaines scènes, mais la distinction n’est pas aussi marquée. C’est
avant tout un problème de moyens !
HD : J’ai la sensation que, plus qu’un film sur Johan, c’est un film qui parle de vous et de vos rencontres. De l’auto-fiction avant
l’heure ?
PV : Peut-être, mais je n’en ai pas été conscient. Il y a eu beaucoup d’improvisation, de scènes inventées... En tout cas, Johan est le catalyseur de ce film.
D’ailleurs, vous avez constaté que Johan est interprété par plusieurs comédiens, qui ne sont jamais aussi beaux que le vrai ! On pénètre un peu dans la propre vie de ces garçons. Et pour
finir, c’est moi qui interprète Johan, et j’émets l’hypothèse qu’il est peut-être mon double !
HD : Les scènes hard ont été rajoutées dans ce DVD : le film est donc livré dans son intégralité.
PV : Oui ! Pour la petite histoire, juste avant d’éditer le DVD, le CNC a retrouvé au fond d’un tiroir une bobine contenant les scènes coupées il y a 30 ans
afin d’éviter la censure... Je les ai donc rajoutées dans le DVD. Formidable, non ?
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