Fiche technique :
Avec Jean-Hugues Anglade, Vittorio Mezzogiorno, Roland Bertin, Lisa Kreuzer, Hammou Graia, Gérard Desarthe, Armin Mueller-Stahl,
Claude Berri et Gérard Depardieu. Réalisé par Patrice Chéreau.
Scénario de Patrice Chéreau et Hervé Guibert. Directeur de la photographie : Rénato Berta. Compositeur : Fiorenzo Carpi.
Durée : 109 mn. Disponible en VF.
Résumé : Un père distant, une
mère saoûlante par ses bavardages insipides et une soeur envahissante. À
18 ans, Henri les supporte mal. Et lorsqu'à la fin de juillet toute la famille part à la gare conduire sa soeur qui s'en va en vacances, il est comme d'habitude dans
son monde, en décalage. Ainsi, pendant la longue attente qui précède le départ du train - sa mère trop prévoyante a calculé très large - erre-t-il dans cette gare, univers surprenant peuplé
d'individus étranges. Suivi par un homme d'âge mûr au regard insistant - Bosmans -, Henri se retrouve par hasard dans les toilettes. Où un individu - c'est Jean - est en train d'en tabasser un
autre. Violence brutale. Et irruption chez Henri d'une attirance instinctive et irrémédiable pour Jean qui l'embrasse avec passion. Le jeune homme est bouleversé. A partir de cet instant, il
passe la plupart de ses nuits à rechercher Jean. En suivant Bosmans, qui, il le sait, connaît Jean, il finit par le retrouver au hasard de la gare.
Jean l'emmène chez Elisabeth avec laquelle il vit. Du moins de temps en temps. Car Jean est un personnage insaisissable. Henri, poussé par Jean, essaie de se prostituer. Mais il n'arrive pas à
franchir le pas. Et Jean a disparu; Henri reprend sa quête passionnelle. En étant plus exigeant à chaque fois qu'il retrouve Jean (chez Bosmans par exemple), plus désireux de partager quelque
chose avec lui. Il se laisse ainsi entraîner dans un cambriolage dont Jean lui colle toute la responsabilité avant de s'évanouir une fois encore. Henri, alors, fait un ultime parcours de place en
place, chez Bosmans, chez Elisabeth, chez ses parents. Sans succès. Solitude, perpétuelle solitude. Dans une boîte de nuit, il retrouve Jean abruti de drogue. Henri le sent enfin tout à lui, mais
il n'est qu'un corps inerte. Alors, il décide que personne d'autre ne l'aura jamais plus...
L’avis d’Olivier Nicklaus :
Une passion homosexuelle filmée comme une descente aux enfers. Co-écrit par Hervé Guibert et Patrice
Chéreau, un film noir, lyrique, théâtral.
Adolescent au milieu des années 80, on guettait fébrilement la diffusion de ce film à la télé. Et on le
regardait en cachette, religieusement, comptant sur lui pour faire la lumière sur les zones troubles d'un désir qui n'osait encore s'avouer homosexuel. À sa sortie, quelques années plus tôt,
L'Homme blessé avait en effet été médiatisé autour de l'image d'un violent baiser entre
Jean-Hugues Anglade et Vittorio Mezzogiorno, et sur le folklore « à la Jean Genet » des
amours souterraines : halls de gare, pissotières, boîtes interlopes... En le revoyant aujourd'hui, on constate que l'homosexualité n'est ici qu'un contexte, un climat, un décor. Chéreau filme
d'abord la passion dans son universalité et dans tous les sens du terme, y compris christique. L'Homme blessé est surtout un récit d'initiation qui verra un adolescent entravé par le mal
de vivre se libérer : au début du film, Anglade ouvre la fenêtre de l'appartement petit-bourgeois de ses parents dans lequel il étouffe, et dit « Il faut que je sorte » comme
on dirait « Il faut que je m'en sorte. » C'est également un film sur la représentation du désir : la fellation que prodigue Mezzogiorno à Anglade pour le compte de Roland
Bertin, le médecin en mal d'émotions fortes, est filmée de manière à ce que le spectateur comprenne qu'il s'agit d'une simulation. Chéreau vient du théâtre et n'a pas peur de réaliser un film
théâtral. D'ailleurs, Jean-Hugues Anglade – la révélation du film – avait 27 ans lorsqu'il tourna ce rôle d'ado, mais la caméra de Chéreau sait filmer son visage catatonique et son corps blême de
façon à ce qu'il incarne définitivement le mal de vivre de l'adolescence.
L'avis de Neil
:
Même si c'est déjà la troisième réalisation de Patrice Chéreau, lui-même considère L'homme blessé comme sa vraie naissance au cinéma. Il faut dire qu'il s'est beaucoup investi
dans le projet, commençant l'écriture du scénario dès 1977 avec l'écrivain Hervé Guibert.
Il reconnaît d'ailleurs se retrouver beaucoup dans cet adolescent qui se cherche « même si je n'ai pas vécu la moitié de ce qui arrive au personnage » (dixit
Chéreau).
Et heureusement pour lui en même temps. Le parcours d'Henri est pas franchement drôle faut dire. Fuyant comme la peste une ambiance familiale complètement sclérosée, ce jeune homme plein de
fougue a besoin de quelque chose : oui mais quoi ? Partir en vacances, bof. C'est ainsi qu'il va être irrésistiblement attiré par la faune un peu bizarroïde qui traîne dans la gare du Nord
et on commence alors une plongée dans les bas-fonds de cette gare. Si le film prend aux tripes, c'est par sa violence radicale et son refus de toute concession : glauque à souhait, il décrit sans
pathos mais non sans passion (c'est du Chéreau quand même) la relation d'attirance et de
répulsion mutuelle qui unit Henri et Jean, sorte d'initiateur mi ange mi démon aux fréquentations interlopes.
Une des qualités du film est de ne pas insister lourdement, même si c'est un des sujets essantiels du film, sur le caractère homosexuel de la relation entre ces deux là : ce qui intéresse avant
tout Patrice Chéreau est le trouble que ressent le personnage principal et sa fureur de
vie toute juvénile. C'est à Jean-Hugues Anglade que revient le lourd rôle d'incarner ce
quasi double cinématographique du réalisateur. Il est saisissant de naturel, réussissant à montrer très justement les faiblesses et le désarroi du personnage. Pour un premier grand rôle c'est
épatant, d'autant que vu son âge à l'époque (28 ans) il n'était pas forcément évident qu'il soit convaincant dans la peau d'un adolescent. À noter les seconds rôles très justes de
Roland Bertin et du couple Annick Alane/Armin Müller-Stahl en parents dépassés par les événements. Vivement critiqué lors de sa projection à
Cannes, L'homme blessé est certes sulfureux mais ne se réduit
pas à ce qualificatif trop simpliste : Chéreau y pose déjà les jalons de sa filmographie
future, faite de passion et de larmes, de bruit et de fureur.
L'avis de Jean Yves : Ce film raconte l'histoire d'une passion adolescente : Henri (Jean-Hugues Anglade), adolescent, s'ennuie. Lors d'un passage à la gare, il rencontre Jean
(Vittorio Mezzogiorno) un homosexuel qui le pousse à commettre un acte de violence sur un homme plus âgé. Immédiatement, Henri éprouve une immense passion pour Jean et décide de le suivre dans
son univers interlope. La passion naïve d'Henri vient butter contre le cynisme de Jean.
Film initiatique sur un jeune homme de 18 ans qui découvre un monde trouble et sans pitié, en même temps que son homosexualité.
Pour la première fois dans l’hexagone (1983), une histoire homosexuelle est représentée explicitement, sans fard. Et quelle histoire ? Quelle homosexualité ? Celle de l’errance et de la dérive,
celle des étreintes fugaces au détour d’un urinoir, des regards appuyés dans les halls de gare, celle que l’on trouve, en littérature, dans les romans de
Jean Genet.
L'homme blessé provoqua quelques émois à Cannes. Le scénario
(récompensé par un César en 1984) est le fruit d'une collaboration étendue sur six années avec Hervé Guibert. Patrice Chéreau y a projeté, dit-il, le sentiment d'une homosexualité non réalisée
qui lui est très proche.
Dans ce film, si l’acte homosexuel est figuré [deux hommes se désirent en un regard, se dévorent, s’étreignent... nus, ils se contemplent avec fascination, avec attirance] le cadre
cinématographique, tributaire du contexte social de l'époque, ne permet quand même pas encore la représentation de la jouissance, et encore moins celle du bonheur. L'interprétation de Jean Hugues
Anglade est exceptionnelle, de même que celle du formidable Vittorio Mezzogiorno, grave à souhait. Patrice Chéreau plonge sans pathos les spectateurs dans cette relation tumultueuse crue mais non
vulgaire. Un film qui prend au ventre et au cœur, à voir ou à revoir : fort et puissant !
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