Le propriétaire d'un magasin qui avait été condamné en février dernier pour avoir vendu des sex toys à proximité d'un établissement d'enseignement a choisi de faire appel.
Par Roseline Letteron.
En l'espèce, le propriétaire du magasin a été condamné, mais dispensé de peine. En revanche, sa condamnation l'a contraint à la fermeture, et il a donc choisi de faire appel, joignant à cette procédure une QPC portant sur la constitutionnalité des dispositions qui constituent le fondement de sa condamnation.
Pour le moment, la procédure ne fait que commencer, mais la QPC a déjà franchi la première étape, celle du juge du fond qui a transmis, le 17 octobre 2012, le dossier à la Cour de cassation. Celle-ci doit encore accepter la transmission au Conseil constitutionnel, pour que les moyens d'inconstitutionnalité soient examinés. Les requérants soulèveront probablement deux moyens essentiels, d'une part la clarté et l'intelligibilité de la loi, d'autre part l'atteinte qu'elle porte à la liberté d'entreprendre.
Clarté et intelligibilité de la loi
Devant les juges du fond, le débat porte sur la question de savoir si un sex toy constitue, ou non, un "objet pornographique" au sens de la loi. Devant le juge constitutionnel, le débat pourrait porter sur le défaut de clarté et d'intelligibilité de la loi, dès lors que cette notion d'"objet pornographique" n'est pas explicitée par le législateur. La Cour européenne, depuis sa décision Sunday Times du 26 avril 1979, exige qu'une loi qui pose des restrictions à l'exercice d'une liberté, en l'espèce la liberté d'entreprendre, soit précise et prévisible. Le Conseil constitutionnel adopte une position très proche, avec une décision du 16 décembre 1999 qui érige le "principe d'accessibilité et d'intelligibilité" en "objectif à valeur constitutionnelle". En matière de liberté d'entreprendre précisément, le Conseil a ainsi censuré sur ce fondement les dispositions trop imprécises d'une loi d'orientation sur l'outre mer (décision du 7 décembre 2000). Ce principe s'applique de manière particulièrement rigoureuse en matière pénale, dès lors qu'il a pour fonction de garantir le respect du principe de sûreté. En effet, la Cour de cassation n'hésite pas à annuler une condamnation au motif que "le texte d'incrimination est entaché d'équivoque et d'imprécision".
Atteinte à la liberté d'entreprendre
Le propriétaire du magasin, dès lors qu'il était condamné par le juge pénal, s'est vu contraint à la fermeture, et les trois employés qui travaillaient avec lui ont été licenciés. Il invoquera donc nécessairement l'atteinte à la liberté d'entreprise entrainée par les dispositions de la loi sur la protection de l'enfance.
La liberté d'entreprendre peut être définie très simplement comme le droit d'exercer l'activité de son choix, et par conséquent de créer ou d'acquérir une entreprise. Le Conseil constitutionnel l'a mentionnée pour la première fois dans sa décision du 16 janvier 1982 sur les nationalisations : "La liberté qui, aux termes de l'article 4 de la Déclaration de 1789, consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait être elle-même préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d'entreprendre". Peu à peu, le juge constitutionnel a d'ailleurs associé la liberté d'entreprendre au droit de propriété, par exemple lorsqu'il annule, dans une décision du 7 décembre 2000, des dispositions législatives permettant de soumettre à autorisation administrative le changement de destination d'un local commercial.
Le problème de constitutionnalité existe bel et bien, et on ne peut qu'espérer que la Cour de cassation transmettra la QPC au Conseil constitutionnel. Peut-être trouvera-t-il quelque inspiration dans la jurisprudence du Conseil d’État ? Souvenons-nous que le juge administratif, saisi d'un recours contre une décision du préfet maritime, gouverneur de Toulon, interdisant aux "filles publiques" d'arpenter les trottoirs et de fréquenter les débits de boisson situés à proximité de la base maritime, a prononcé l'annulation. Il se fondait sur la liberté d'aller et de venir de ces dames, et sur la liberté du commerce et de l'industrie pour les tenants de ces débits de boisson. C'était le célèbre arrêt dame Dol et Laurent, le 28 février 1919.
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