83. L'enfer blanc

Publié le 08 avril 2008 par Daniel

(4.15)

L’hiver s’éteint à Caribouland. La neige fond, lentement, mais sûrement. Les dernières traces blanches disparaîtront en mai. Cet hiver fut long, très long, trop long. Trop dur, trop rigoureux, difficile à supporter quand on est seul et qu’on n’a personne avec qui faire l’amour devant un feu de cheminée. Ajoutons à cela qu’il n’y a pas de cheminée dans la maison…

La Niña est la cousine maléfique d’El Niño. El Niño, c’est le petit garçon qui joue au réchauffement climatique. La Niña, c’est la petite fille frigide qui fabrique des glaçons une fois tous les dix ans, ou plus. C’est une paresseuse, mais son cousin au sang chaud ne lui laisse que peu d’espace pour s’exprimer. Mais quand elle s’exprime, la vilaine, ça fait mal. Elle ne le fait qu’en hiver. Un hiver « à la Niña », tel est celui que je viens de traverser. Douloureusement. Cela s’est traduit par des températures plus froides, et davantage de précipitations. Comprenez par là : des chutes de neige, des tempêtes hivernales, des pluies de verglas.

C’est beau quand ça tombe la première fois, la neige. Tout est immaculé, et le silence qui s’abat avec elle invite à une forme de recueillement. Mais dans le monde contemporain, tout ce qui est pur est appelé à être souillé. L’automobile transforme la neige en gadoue, le « slush », les émanations des pots d’échappement noircissent le blanc manteau neigeux, comme un poumon est encrassé par la fumée du tabac. Et tout devient laid.

L’hiver a tué. Spectaculairement. Au cours de la deuxième semaine de janvier, une équipe de joueurs de basket (15 et 16 ans) a été décimée dans un accident de la route. À cinq minutes de la destination finale, le minibus a dérapé, et comme dans un mauvais film, la fatalité a voulu qu’un camion arrivât en sens inverse. Sept joueurs sur neuf ont perdu la vie, ainsi que l’épouse du coach, ce dernier étant, avec sa fille et deux autres joueurs, l’un des quatre rescapés, mais marqué à vie par la tragédie.

L’hiver condamne à l’enfermement. Les gens se barricadent chez eux. Le climat est primesautier. Un bulletin météo peut être contredit par les faits le lendemain. Dans ces conditions, il apparaît hautement hasardeux de prévoir une excursion un tant soit peu lointaine, le risque étant grand d’être pris n’importe où dans une tempête de neige ou de glace. La vie sociale, au cœur de l’hiver, est une belle endormie dans un coma artificiel.

Je le reconnais, je suis venu ici de mon plein gré. J’avais des projets plein la tête. Ils se sont fracassés sur les rochers de la réalité. Je voulais revoir la neige, que je ne voyais plus en France depuis si longtemps. Las ! j’ai fait une overdose de poudre blanche, transformant un rêve d’enfant en cauchemar d’adulte. Le paradis blanc s’est révélé être un enfer.

J’en sors fourbu, vanné, molesté par une souffrance quotidienne qui ne m’a laissé aucun répit de tout le mois passé. Quand l’esprit vacille, le corps proteste et réagit avec véhémence. De surcroît, il s’enferme dans une logique mortifère et se nourrit de son propre venin imaginaire. Sortir de cette spirale n’est pas chose aisée, mais reconnaître et identifier le problème est un premier pas vers la guérison.

L’hiver s’éteint à Caribouland, emportant avec lui les projets d’avenir que j’y avais formés. Mais la petite flamme à l’intérieur de moi n’est pas morte. Elle a la vaillance du feu grégeois. Elle est plus forte qu’elle ne le croit. Alors, après s’être consumé, le phénix renaîtra de ses cendres et le feu sacré qui l’anime reprendra vigueur, et brûlera, ardemment.



Lire le précédent épisode, cliquez ici