ENTREVUE avec KIM MESSIER Auteure de “Le placard”

Par Beaguillart

Pourquoi avoir écrit un livre sur l’homosexualité féminine?

Dans le cadre de mon projet de lutte contre l’homophobie, au secondaire, en français, j’ai remarqué qu’il y avait très peu de romans ayant un personnage féminin lesbien. De plus, je voulais écrire une histoire captivante qui puisse donner de l’espoir aux jeunes filles en questionnement et renseigner l’entourage de ces filles quant à leurs questionnements, à leurs peurs, etc.

Qui vous a inspiré le personnage de Léa?

Personne. En fait, je voulais une fille normale qui étudie, qui a un travail d’étudiante, qui est bien dans sa famille et qui a des amis. Frédérique, la copine de Léa, est beaucoup plus âgée et plus autonome. Pourquoi cette contradiction entre les deux personnages principaux du livre? Je voulais un personnage fort dans mon livre pour capter l’intérêt de mes lecteurs et pour démontrer une autre facette de la vie. Frédérique a été rejetée par ses parents quand ils ont découvert qu’elle était lesbienne. Elle n’a pas beaucoup d’éducation, mais elle se débrouille pour survivre en travaillant dans un bar. Pour Léa, Fred représente le désir à l’état brut, la découverte et l’aventure de tout ce qu’elle ne connaît pas encore du monde adulte.

En quoi votre métier d’enseignante vous a-t-il permis de dresser un tableau aussi précis de la réalité homophobe à l’école?

Tous les jours, j’entends des élèves se traiter de fif ou du tapette. Les garçons ont très peur d’être étiquetés gays, à tord ou à raison, car ils craignent d’être intimidés. Si les jeunes se niaisent pour des détails (comme la couleur des cheveux), alors ils savent que ce serait bien pire pour leur orientation sexuelle. Ils sont pris avec le modèle majoritairement hétérosexuel qu’ils voient partout et qui est mis de l’avant. Ils sont aussi pris avec le modèle du « vrai gars », lequel est musclé, ne pleure pas, pratique des sports de « vrais gars » et est attiré par des filles. La conséquence directe, c’est que les ados ne vivent pas toutes leurs passions par crainte du regard des autres. C’est dommage…

Le livre est bien campé dans le mensonge, Léa étant déchirée entre l’envie de se dévoiler et la peur d’être rejetée de tous. En quoi est-ce différent avec l’homosexualité féminine?

Je crois que les filles qui découvrent qu’elles sont lesbiennes vivent une double discrimination : l’homophobie sociale et le sexisme. Il est prouvé que les femmes ont encore de la difficulté, dans leur métier par exemple, à se faire une place de façon égale aux hommes. C’est difficile comme hétérosexuelle, donc ce l’est encore plus comme homosexuelle.

L’angoisse de Léa est palpable du début à la fin. Selon vous, en quoi cette réaction est-elle différente chez les lesbiennes?

Dans le cas de Léa, son angoisse est très reliée au fait qu’elle craint de perdre les gens qu’elle aime, soit sa famille et ses amis. Comme elle vit beaucoup d’homophobie intériorisée, elle ne réussit pas à imaginer que les autres puissent l’accepter telle qu’elle est. Mon roman porte essentiellement sur ce type d’homophobie. De plus, il est important de mentionner que les hétérosexuels ne vivent pas ce type d’angoisse et cela frustre beaucoup mon personnage principal.

Les jeunes gais, à votre avis, vivent-ils leur sortie du placard de la même façon?

Je crois que oui. Bon nombre de témoignages de jeunes lesbiennes qui m’écrivent m’indiquent qu’elles se sont reconnues, qu’elles ont les mêmes peurs et questionnements que Léa. D’ailleurs, elles attendent avec impatience la suite du Placard cet été. Mon but était d’écrire une histoire positive, malgré le fait que mon personnage principal vit des choses difficiles et merveilleuses en même temps. Je veux aider les jeunes filles en questionnement et leur entourage.

Dans votre livre, la pression des pairs et celle des parents est omniprésente face à Léa. Quel message avez-vous pour eux?

J’aimerais que les parents comprennent qu’ils ne doivent pas véhiculer seulement un message : celui qu’il faut instinctivement être hétérosexuel et trouver un partenaire du même sexe. Il faut parler des différents types de couples à nos enfants pour qu’ils connaissent ce qui se passe dans la réalité. Ils doivent être à l’aise avec leurs questionnements et leurs attirances, en plus d’être bien dans leur peau. Dans le fond, il faut être plus ouvert d’esprit face à nos enfants et ne pas oublier qu’on les aime pour ce qu’ils sont et non pas pour ce que l’on souhaite qu’ils deviennent. En demeurant ouverts, nos enfants viendront nous parler.

Line Chamberland, Ph.D. en sociologie, professeur à l’UQAM, a signé la postface de votre roman. Qu’est-ce qui a motivé ce choix?

Pour maîtriser mon sujet, j’ai suivi son cours Homosexualité et Société. Par le fait même, j’ai expliqué ma démarche d’écriture et lui ai demandé si elle désirait lire mon roman pour me dire ce qu’elle en pensait. Comme elle a aimé, je lui ai demandé si elle pouvait me faire l’honneur d’écrire ma postface. Elle a accepté et j’en suis extrêmement heureuse.

Votre roman a été publié à l’automne 2012. Selon vous, quel a été l’impact de ce bouquin?

Beaucoup de jeunes lesbiennes m’ont écrit pour me dire que c’était le temps qu’un livre traite de ce sujet, qu’elles étaient heureuses et qu’elles aimaient mon histoire. Je crois, et j’espère, que je vais aider des filles en questionnement à s’accepter et à aller chercher de l’aide si elles ont des idées noires. Dans mon livre, je démontre qu’il y a toujours de l’espoir et qu’il ne faut jamais abandonner. Mon but ultime, c’est que les professeurs fassent lire mon roman en classe comme outil pédagogique pour faire de la prévention et pour éduquer. Plus les jeunes filles liront le récit, plus je pourrai les aider et plus l’entourage de celles-ci les comprendra.

Votre bouquin a-t-il engendré une réaction en chaîne dans les établissements scolaires? Parle-t-on plus ouvertement d’homophobie à l’école?

Pour l’instant, non, car il vient tout juste de paraître. Par contre, je commence à recevoir des invitations pour animer des conférences sur le sujet dans les écoles, c’est un début. J’espère que mes deux tomes permettront de parler plus ouvertement d’homophobie, d’homosexualité et d’intimidation dans les écoles.

Y aura-t-il une suite à ce livre ou y aura-t-il variation sur le même thème?

La suite sera éditée cet été. D’ailleurs, je suis invitée à La Fierté Littéraire en août 2013 dans le cadre de La Fierté Gaie 2013. Dans cette suite, Léa fait sa sortie du placard. Encore une fois, j’espère que mon livre servira de modèle et de référence pour les jeunes filles en questionnement quant à leur orientation sexuelle. J’espère qu’elles seront captivées par mon récit. J’aimerais beaucoup que les parents ou les gens qui entourent les lesbiennes lisent mon livre pour comprendre les questionnements et les peurs qui peuvent les habiter. Je souhaite que ces gens réalisent que l’amour, c’est beau et merveilleux, peu importe l’orientation sexuelle d’une personne.

Le placard de Kim Messier, Éditions de Mortagne, 2012, 248 pages

Propos recueillis par Réjean Roy