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Lectures, onguents et voluptés # Chronique 14

Publié le 29 avril 2008 par Katrin

Ce beau coffret de « Nouvelles érotiques » composé de quatre textes inédits proposés par les Editions de l’atelier In8 est d’abord un délice pour les yeux et pour le toucher. On ouvre les quatre livrets aux pages satinées comme on ouvre un écrin ou le cœur d’une pivoine pourpre, excité par le mystère qu’ils comportent.

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C’est délibérément que j’ai choisi de tirer au hasard, les yeux fermés, chaque livret, comme pour m’abandonner totalement aux mains de leurs auteurs. Mes doigts caressent le premier, celui de Claude Chambard, « La rencontre dans l’escalier ». Le hasard fait bien les choses, car dès les premières pages, je me sens comme Hortense, l’après-midi, calée dans « un fauteuil moelleux », dans un grenier entourée de milliers de livres, de tous formats et de toute nature, refuge hors du temps et de l’ennui où elle lit durant des heures. Elle est en haut, tandis que son amour, Clément est en bas, à l’étage, traducteur forcené, qui à force de se noyer dans l’écriture des autres (« des hommes invisibles, lointains ou morts ») en oublie ses propres désirs, se décharne et met en péril son couple. Entre eux, un escalier, comme un fil tenu que tout sépare et tout relie. Un fil tissant les voix de l’un et de l’autre qui se cherchent et s’interrogent sur leur amour. Un lieu où la nuit, une sorte de succube invisible et insatiable veille et se délecte de montrer à Clément le vrai visage de ses pulsions et ses obsessions, allant jusqu’à faire basculer sa vie « dans l’effroi et l’inconséquence ».

Telle Hortense, je rêve. « Je lis, je vis ». Elle lit des livres érotiques chinois. Des histoires où « la flûte » s’invite « dans la petite maison », distillant  de doux « parfums de miel et de jasmin, de lotus, de roses et de prunes ». Elle pourrait aussi lire, en plus de sa propre histoire, les trois autres livres que j’ai dans la main, lovée dans son fauteuil, dans la lumière du grenier, à oublier le temps.

Tous ont en commun l’amour de la langue faite chair et les « bruissements d’étoffes, de peaux, de douceurs ». Toutes leurs héroïnes sont des sentinelles et des initiatrices pour l’homme. Toutes, dans leur singularité, sont le flambeau du verbe. Hortense, avec sa sensualité étourdissante de liseuse, ouvre le chemin à la fascinante Olivia qui roule des mots occitans, en donnant « sa coda » au « chibre » de son amant. Il y a aussi la délicieuse et inquiétante Séraphine qui avec son maître joue du créole, pour rendre plus riche encore l’expression de leurs voluptés. Et puis voilà, celle qui raconte Lord et Sucia, qu’elle travaillent au corps et à l’âme en les mettant dans un bain intarissable de mots et d’obscénités. Toutes n’ont qu’une seule raison d’exister : jouir dans toutes les nuances de la langue.

Telle Hortense, je me laisse prendre par ces livres, ces pages, ces phrases. « J’ai la peau moite et quelques gouttes de sueur coulent sur mon ventre vers ma pivoine blonde . J’ai chaud et j’ai la chair de poule ». Olivia se tient là, dans les pages plus drues de Gérard de Loiès dans « Lettre à sa complice ». Elle revient hanter le narrateur, Pierrot, quinze ans après lui avoir tendu un guet-apens érotique des plus torrides, dans la cabine d’essayage de sa boutique, en plein été. Alors il lui écrit pour lui dire qu’il n’a jamais oublié. « Que reste-t-il de cette nuit ? J’aurai pu être ton homme, ton amant, ton esclave ». Esclave, il l’a été dès le premier regard, lorsque docile, il a laissé Olivia orchestrer de main de maitresse-reine leurs premiers ébats avec deux autre filles dans la fameuse cabine d’essayage. Mais la vraie rencontre se fait ailleurs, sur les bords de la Garonne, quand elle lui apparaît dans sa robe à fleurs, « tes jambes dans la lumière crue de l’été », puis lorsqu’elle lui donne son « corps frissonnant dans l’herbe ». Hortense et moi, nous nous laissons enrouler dans la chaleur tropicale sensuelle qui pénètre le corps du texte, nous savons combien « le vent chaud redoublait de brutalité, les peupliers chantaient des louanges ». Elle attend, elle lit, elle vit ;  je rêve comme Pierrot à une nuit d’amour et d’éclairs…

Hortense encore : « Je ferme les yeux. Je lis les yeux fermés. Je m’enroule dans ma lecture et dans mon désir ». Voilà les pages bruissantes et exotiques de « Séraphine la kimboiseuse » de Jacques Abeille. Séraphine l’antillaise vient  avec « tous les riches parfums du monde qui l’avaient vue naître, goyave et poivre, mangue et piment ». Alors qu’elle doit subir une flagellation (décrite avec une poignante insolence) pour un menu délit, elle est affranchie par le narrateur, un maître de plantation qui décidé d’abolir les châtiments corporels. Envoûté par l’aura et la beauté de la belle métisse rebelle et vindicative, le maître décide de l’héberger chez lui, en décidant qu’il ne cédera sous aucun prétexte à ses provocations sensuelles. Mais ce n’est sans compter sur les pouvoirs occultes et magiques de la belle « kimboiseuse » (« sorcière ») qui décide de s’abandonner à son sauveur, en lui prodiguant des soins « d’une suffocante douceur ». Son indécence naturelle, indifférente aux convenances et à la pudeur ébranle « les nerfs par tous le corps ». Malgré lui, le maître, sous le charme, voit la machine de son corps se dérégler. Pris d’une fièvre étrange, succombera-t-il aux « offrandes obscènes » de Séraphine et à « la senteur fauve, profonde, généreuse et vivace de son corps » ? Connaîtra-t-il les joies brûlantes de l’esclavage ? Sachez que cette lecture offre une cure de jouvence au désir érotique. Le soin, l’onguent des mots étreint et masse la lectrice que je suis presque aussi intensément que pourrait le faire mon amant.

Alors je me dis qu’il y a des lectures comme des voluptés de l’amour. Telle Hortense, dans son grenier, je me dis que la lecture  a aussi le pouvoir de soulager et redonner « des forces, puis des joies, du plaisir, du vrai plaisir, de la jouissance ». Le temps se distend, l’espace disparaît ; chaque page nous pousse à la fois au-dedans et au large de nous même, comme deux corps, qui plongés l’un dans l’autre, ne voient plus rien du monde qui les entoure et en même temps deviennent le cosmos même, étoiles et firmament.

C’est dans ce temps-là, « dans un temps convulsif et un espace démesuré, à la fois ouvert sans limites et très étroitement clos » que nous emmène Alina Reyes dans sa nouvelle inédite « Notre femme ». Sa langue d’emblée nous enfourche violemment l’oeil. Pantelants, elle nous met devant un miroir et nous commande de jouir les yeux ouverts, sans quitter des yeux notre reflet. Il y a Lord, avec qui la narratrice vit à la Villa Lucia, dans une station balnéaire déserte. Il est son homme, il est sa femme. Sa « bouche de méduses » aspire tout et enveloppe tout ; avec ses mots, elle le ventouse, elle ne le quitte pas des yeux, elle en fait son jouet. Elle le baigne de sa langue et de ses obscénités. Elle l’initie aux joies de la carotte et du godemiché vibrant. Elle se paie le luxe même de ramener à la maison – pour elle et pour lui - Sucia, une adolescente qu’elle rencontre à son cours de danse. Elle lui raconte ce qu’elle fait avec elle. Elle le « travaille » avec ses mots, avec Sucia, dans son corps et son âme. Jamais, avec Alina Reyes, la danse du désir ne cesse, même quand on croit qu’elle se termine. C’est un tourbillon qui ramène la vie du néant et de la mort, sa langue est une « jeu de marées insatiables, puissantes, bienheureuses », une ronde incessante et lancinante de mots pour jouir « sans jamais se lâcher des yeux, en se tenant par les yeux, en se transperçant par les yeux, en jouissant de nos yeux ».

Mon petit jeu de « l’aveugle » pour tirer au sort l’ordre de mes lectures m’a comblé mystérieusement, les yeux bien ouverts. J’aime que des livres  me métamorphosent en « liseuse », qu’aucun bruit de porte ne détourne et que seule une bougie consumée témoigne de la longue veille. J’aime que des livres m’enfouissent dans leur lit et m’invitent à un érotisme salvateur. J’aime quand par miracle, un brin de lumière se pose sur ma nuque – me rappelant les mains tendres de mon amant - alors qu’au même moment Hortense oublie le temps en lisant « La folle d’amour ». On oublie souvent de dire que la lecture est en elle-même est une affaire sensuelle, de corps, de désir. Tout, dans ce coffret de nouvelles érotiques, nous invite à faire de chaque lecture un moment propice à l’éveil de nos sens et à s’interroger sur « la chair » de la littérature.

Oui, comme nous commande Alina Reyes, sachons que « notre corps est un temple » et sachons que nous, lecteurs, nous pouvons « jouir de la chair et faire jouir la chair, nue comme venue au monde », nous pouvons jouir entièrement du Verbe ! Cette jouissance n’est pas forcément bruyante et haletante : elle est intime, silencieuse, elle nous isole le plus parfaitement des autres et paradoxalement nous relie à la communauté du monde, puisque potentiellement partagée par tous. Les auteurs de ce coffret érotique écrivent avec la langue de l’amour. L'érotique des mots répond au froissement des peaux, à l'urgence d'aimer. Vous ne pourrez  que lire ces nouvelles avec amour, simplement pour vous dire que vous êtes vivants et ressentir encore une fois l’intensité inouïe de la vie et du désir. Oui, je lis, je vis !

« Je me suis assise dans le fauteuil à oreilles, dans la lumière. J’ai ramassé la Folle d’amour. J’ai lu. J’ai lu. J’ai oublié le temps. Je lis ».

Article paru dans le Le Magazine des Livres en kiosque en Novembre 2007 - Par Katrin Alexandre Copyright

Nouvelles érotiques
Coffret érotique composé de quatre textes inédits

Notre femme, d’Alina reyes
Séraphine la Kimboiseuse, de Jacques Abeille
La rencontre dans l’escalier de Claude Chambard
Lettre à sa complice de Gérard de Loiès
Septembre 2007 aux Editions de l’atelier In8


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