Michel Tremblay n’a jamais voulu faire de la politique en parlant d’homosexualité dans ses livres. «Ça ne m’intéressait pas, je voulais écrire des livres pour tout le monde. Je voulais écrire des livres et des pièces où l’homosexualité en viendrait à ne pas être importante, » a-t-il dit lors d’une rencontre publique lors de la Fierté littéraire dans le cadre de Fierté Montréal. Michel Tremblay n’a jamais auparavant autant discuté de la thématique LGBT dans son œuvre et avec autant de profondeur et avec autant d’introspection, racontant que c’est la découverte de son orientation sexuelle à l’adolescence qui l’a poussé à écrire.
« À cette époque, 16 ans, on est en 58, tu n’allais pas voir tes parents pour leur dire “ devinez quoi “. Il fallait passer par ailleurs pour dire ce qu’on avait à vivre ou pour vivre ce qu’on avait à vivre. »
Il a d’abord écrit Contes pour buveurs attardés.
« Sur les 40 contes, il y en a au moins 7, 8 qui sont au moins homoérotiques, sinon franchement homosexuels en pensant qu’en fin du compte, personne ne va s’en rendre compte. »
Il en a remis des copies à ses amis qui ne disaient rien.
« C’est très drôle le silence des années 50, l’espèce de silence devant certains sujets. Mes amis les lisaient, aimaient beaucoup ça. Mais ça s’arrêtait là. La chose n’était jamais abordée directement. »
L’auteur célèbre est d’avis qu’un adolescent qui n’a pas de problème ne deviendra pas un artiste.
« Tu te confies à la page blanche. Alors mes premiers poèmes, mes premiers contes, c’était ça. Au moins, si c’était pas clair dans ce que j’écrivais, au moins ça me faisait du bien. On écrit pour se faire du bien. »
Si l’homosexualité est latente dans les premières œuvres de Michel Tremblay, celui-ci attend le milieu des années 60 pour en faire un thème principal d’une pièce de théâtre. Il s’agit de la Duchesse de Langeais (qui n’a rien à voir avec celle de Balzac). Cette pièce raconte l’histoire d’une travestie qui s’enivre pour noyer un chagrin d’amour.
« C’était tellement outré que la pièce avait plus d’importance que la question qu’on pouvait se poser à savoir est-ce que l’auteur est gai ou non. C’était un tel coup de poing. »
En fait, c’est lors d’une entrevue en anglais sur les ondes de la télévision anglaise de Radio-Canada que Michel Tremblay en 1975 annoncera son homosexualité.
« Il m’a demandé By the way, are you gay ? J’ai répondu By the way, yes! »
Michel Tremblay écrit pour comprendre les gens et les situations.
« L’écriture est une lettre sans fin que je m’écris à moi même depuis 55 ans pour essayer de comprendre le monde. N’importe qui qui vit un traumatisme ou qui vit quelque chose, c’est normal qu’il ait envie de l’exprimer. L’écriture, c’est sérieux. C’est pas cute. C’est le fun, mais c’est pas cute. »
En 1974, il écrit la pièce Bonjour là, bonjour, dans laquelle on retrouve deux amoureux qu’on trouve sympathiques, mais au milieu de la pièce, on apprend qu’ils sont frère et sœur, mais il est trop tard pour les haïr.
« On est obligé de l’accepter, » explique-t-il.
Dans Le Coeur découvert, le premier tome de la série Le Gay Savoir, Michel Tremblay a choisi de ne pas aborder le coming-out ou l’homophobie, mais il a voulu faire avouer à n’importe qui lirait ce roman que deux hommes puissent être amoureux n’avait aucune espèce d’importance.
Ce roman vient d’être traduit en italien, et une journaliste de Rome l’a interviewé récemment. Elle lui a dit que dans son pays, c’était un livre avant-gardiste parce que c’est impensable que deux hommes puissent vivre ensemble et en plus élever un enfant.
« Imaginez qu’en 1986, quand mon roman est sorti au Québec, on m’a dit que le thème était dépassé. »
Or, en 2013, les questions d’homoparentalité ne sont certainement pas toutes réglées au Québec.
La suite, Le Coeur éclaté nous fait vivre au travers de Jean-Marc, le personnage principal, la peine d’amour que l’auteur a lui-même vécu en 1991. Michel Tremblay s’était alors rendu à Key West à l’invitation de l’écrivaine Marie-Claire Blais, où il a passé cinq mois.
« C’est comme lorsque je suis malade, comme lorsque j’ai eu mon cancer, j’ai tendance à faire comme les animaux et m’en aller dans mon coin et de lécher mes plaies et de revenir triomphant. C’est un peu ce que j’avais fait en 91. Si ça ne m’était pas arrivé, j’aurais pu écrire une deuxième partie où dix ans plus tard, les deux gars auraient encore été ensemble. »
Michel Tremblay compare les écrivains à des vampires qui trouvent leur inspiration dans leur propre vie et dans celles de leur entourage. Ainsi, il a fait vivre à Jean-Marc, son personnage principal, sa peine de l’année précédente. Il a fait la même chose après son opération au cerveau en 1986. Il a alors écrit L’homme qui entendait siffler une bouilloire.
« C’est correct d’utiliser ce que tu as vécu et c’est correct de vampiriser ton entourage à condition, c’est prétentieux de dire, mais c’est vrai, que ce que tu produis soit bon. »
En 1971, Radio-Canada diffuse aux Beaux Dimanches En pièces détachées qui met en scène la tante Robertine, la marraine de Michel Tremblay. Celle-ci avait eu une réaction tout à fait inattendue.
« Pendant toute ma vie, je me suis confessée à des curés qui ne comprenaient rien, puis tout ce temps-là, j’avais un neveu à côté de moi qui me comprenait. »
Dans Le Coeur éclaté, il est aussi question du SIDA. C’est la première fois que Michel Tremblay en parle das son œuvre. Pourtant la maladie est connue depuis 11 ans. Il a hésité à en parler pour ne pas tomber dans la colère, comme c’était le cas dans la littérature et au théâtre jusqu’alors, comme la pièce de théâtre The Normal heart (Larry Kramer, 1985). Il a pris le temps de comprendre la maladie et de trouver le bon ton pour en parler.
À cette époque, Key West était devenu le mouroir des sidéens aux États-Unis.
« On voyait beaucoup de sidéens dans les rues. C’était très présent et très heavy! »
Un soir qu’il allait voir le coucher de soleil à une jetée située près de chez lui, il a été témoin d’une scène touchant.
« J’avais vu un couple, et c’était le jeune, un très très beau gars et il était malade, et c’était le vieux qui le guidait le plus jeune. Le vieux avait décrit au jeune ce qu’il voyait. Ce dernier ne pouvait pas voir parce qu’il était atteint de cécité. »
Un an plus tard, il s’est inspiré de ce moment dans Le Coeur éclaté.
Les lesbiennes sont aussi très présentes dans l’œuvre de Michel Tremblay.
« J’ai depuis longtemps été entouré d’une quinzaine de lesbiennes. J’ai vécu avec elles et je les ai entendues. J’ai connu leur humour, j’ai connu leur façon de vivre. Quand est venu le temps de les décrire… C’est ma job d’imaginer ce que ça peut être, d’être quelqu’un d’autre. »
Dans La nuit des princes charmants, on devine aussi que le narrateur sans nom est Michel Tremblay, et ce dernier l’admet.
« Comme j’ai comme théorie qu’on connait le cul avant l’amour, je voulais écrire un roman dans lequel un petit gars de 16 ans qui est vierge décide de perdre sa virginité et s’en aller à l’aventure. Fuck le reste! »
« Ça s’appelle La Nuit des princes charmants parce qu’il n’arrête pas de rencontrer des gars avec qui ça marche pas. Il les subit. Et celui avec lequel... On ne racontera pas tout le roman... »
Michel Tremblay appelle ce genre de beau mec imbu de lui-même qui vous niaise pendant toute une soirée un chien sale aux yeux verts. Ça lui a inspiré une chanson dans la pièce de théâtre musical Demain matin, Montréal m’attend.
« Tu sais quand il (le narrateur de La Nuit des princes charmants) revient le lendemain matin après avoir baisé, il écrit pour dire que tout ce qu’il a envie de dire à sa mère, regarde mes mains sentent le cul. Tu sais d’aller jusque là, il faut que ce soit cochon, pas laid, mais pour l’époque, oui, mais bon. C’est ça le sujet du roman, c’est ça qui est important, c’est je vais-tu finir par baiser un jour. L’ai-je bien expliqué ?
Dans Quarante-quatre minutes, quarante-quatre secondes, 4e tome de la série Le Gay savoir, on suit le même gars fendant, ce chien sale aux yeux verts, François Villeneuve, 40 ans plus tard.
“J’ai voulu écrire un roman sur un gars antipathique. J’ai tellement bien réussi que le livre ne s’est pas bien vendu.”
Pourtant, on finit par accepter ce gars détestable pas à cause de lui, mais en raison de ce qui lui arrive. Has-been et alcoolique, on suit son histoire au travers des 10 chansons qu’il a écrites et qui formeront son seul disque qu’il aura produit de toute sa vie. C’est au travers du processus de création de chacune des chansons qu’on en apprend sur le personnage. Ce livre particulièrement réussi mérite d’être lu. Il faut passer outre l’aspect antipathique de François Villeneuve.
Beaucoup de lieux et d’artistes connus font partie du roman, entre autres Monique Leyrac. Atteint d’une phase avancée de syphilis, François se sent mal et demande à Madame Leyrac qu’il croise à la sortie d’un enregistrement à Radio-Canada de l’emmener voir un docteur. Michel Tremblay a dû vérifier si Monique Leyrac avait une auto en 1964, l’année où se situe l’action.
“C’est le fun de se servir de ces détails pour que ça ait l’air vrai. Moi j’aime le faire parce que ça donne de la crédibilité à ce que tu racontes.”
Avec une œuvre aussi colossale que celle de Michel Tremblay, qui comprend entre autres, 27 pièces de théâtre et 24 romans, on croit facilement qu’il a raconté et raconte encore avec autant de crédibilité la petite et la grande histoire des Québécois.