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Cinéma lesbien : Thérèse et Isabelle

Par Beaguillart

Cinéma lesbien : Thérèse et IsabelleJeunes femmes en uniforme : amours interdits

De jeunes femmes en uniforme dans un pensionnat… Une prémisse qui évoque nécessairement l’amitié, les querelles, mais aussi et surtout l’amour saphique ou le fantasme chimérique hétérosexuel. Bref, tout sauf le point de vue académique. Cependant, vous en conviendrez, une étude quantitative de la réussite académique des garçons versus celle des filles, dans un environnement mixte versus privé, aurait été peu pertinente pour Culture LGBT. 

Je vous propose ainsi de revisiter des films qui flirtent avec le lesbianisme dans des écoles de filles. Selon leur contexte de production (année, pays, réalisateur, etc.), ces films, à la fois très différents, nous révèlent sans conteste des études sociologiques pertinentes. Depuis que les Frères Lumière ont présenté ces images en mouvement au public parisien en 1895, le caractère anthropologique du médium a toujours fasciné de par ce regard unique de l’image de l’Homme et de son environnement. Ainsi, je vous propose une étude d’un environnement, que l’on pourrait qualifier de clos, voir répressif, celui des écoles de filles (pensionnat, collèges privés) et d’un scénario type, celui des idylles saphiques, des amours interdits, des commig of age stories, par le biais de trois films, que les décennies séparent. Des années 30, aux années 60, en passant par les années 2000, la représentation du lesbianisme à l’écran évoluera nécessairement selon la perception de l’homosexualité, comme les droits et acquis des populations homosexuelles. Le septième art, celui que l’on surnommait jadis «le placard de celluloïd» (une appellation toujours d’actualité dans certains cinémas nationaux), évolue nécessairement selon les contextes sociaux, dans lesquelles les productions s’inscrivent. Sans pour autant prétendre à une étude exhaustive, je vous présenterai ici, au travers de cette chronique et des subséquentes parutions, un tour d’horizon non chronologique de différents films portant sur la thématique des «jeunes femmes en uniforme». Une occasion unique de découvrir ces films ou de les redécouvrir, par le biais d’une lecture sociologique du lesbianisme au cinéma.

Étude 1 : Thérèse et Isabelle
Le film relate l’histoire d’Isabelle et de Thérèse qui se retrouvent toutes deux étudiantes dans un pensionnat français pour jeunes filles, le Collège du Lys. L’histoire nous est racontée du point de vue de Thérèse alors qu’elle revisite le pensionnat, 20 ans après son passage dans cet établissement. Thérèse y est seule, avec ses fantômes du passé, alors que les événements lui reviennent en mémoire, racontés par le biais de retours en arrière. Les premières images du film Thérèse et Isabelle évoquent cette caméra à la recherche de souvenirs, tel l’incomparable L’année dernière à Marienbad (1961) du grand Alain Resnais. Pour ceux qui sont familiers avec ce film de Renais, vous y trouverez une certaine similitude avec cette errance de la caméra dans les couloirs du pensionnat, comme des fantômes de la mémoire…

Sous la plume de Violette Leduc

Produit et réalisé par Radley Metzger en 1968, le film est basé sur le roman éponyme de Violette Leduc rédigé en 1954 alors que des passages du roman seront publiés dans La Batârde en 1964. Par la suite, une version raccourcie et censurée est publiée en 1966 (la version intégrale paraitra en 2000). D’ailleurs, cette adaptation du cinéaste Radley Metzger retrouve la saveur de l’œuvre littéraire originale par le biais de la narration de Thérèse (ce qui est aussi le cas dans le roman), qui narre les événements de façon poétique. Écrivaine française née à Arras, Violette Leduc rencontrera Simone de Beauvoir dans les années d’après-guerre à St-Germain les prés. S’amorcera une relation intense entre les deux femmes, relation basée sur la quête de la liberté par l’écriture pour Violette et la conviction pour Simone d’avoir entre les mains le destin d’un écrivain hors norme. Cette relation durera toute leur vie, alors que Simone de Beauvoir sera l’héritière des droits littéraires à la mort de Leduc en 1972. D’ailleurs, le film biographique français Violette (2013) mettant en vedette Emmanuelle Devos et Sandrine Kiberlain évoque leur histoire.

Le libéralisme des années 60

Longtemps au cinéma, lorsqu’un personnage qualifié d’homosexuel (et plus rarement lesbien) apparaissait à l’écran, le récit se devait de conclure à sa mort, à son suicide, ou tout autre acte punitif, qui revenait à condamner l’homosexualité…D’où le «placard de celluloïd»…Dans les années 60, un vent de changement s’amorce avec la libéralisation des mœurs. Cela dit, l’homosexualité étant encore considéré comme une maladie mentale par l’American pyschiatric association, la libéralisation des pulsions à l’écran ne sera pas pour autant totalement libératrice. Cela dit, Therese & Isabelle a le mérite de ne pas se terminer par un suicide. Cela dit, dans de nombreux films flirtant avec le lesbianisme, expliquer d’où vient le lesbianisme – sous-entendre cette perversion – est partie intégrante du scénario... Les excuses se multiplient comme si le lesbianisme ne pouvait exister en lui-même…Par exemple, vous avez surement déjà vu les manifestations desdites excuses que ce soit cinématographiquement ou socialement; viol, père absent, relation conflictuelle, attachement viscéral à sa mère, bla, bla, bla et j’en passe…Dans Thèrese et Isabelle, le père est absent et l’autoritaire homme qui est en proie de le remplacer, fait mettre Thérèse en pensionnant, avec l’accord de la mère de celle-ci. Vous vous en doutez, Thérèse a clairement de la difficulté à quitter sa mère, avec qui elle semble avoir une relation très proche, sans être conflictuelle.

Valider le lesbianisme

À mi-chemin du récit voilà qu’Isabelle a une relation avec un homme…Si la couchette suit son cours dehors dans les feuilles, en guise de lit avec les criquets en trame sonore, Isabelle semble peu confortable, songeuse. Cette dernière semblait prendre davantage de plaisir à effleurer la main d’Isabelle par «mégarde»…Le fait est que pour beaucoup de films à thématique lesbienne, ou flirtant avec le lesbianisme, le scénario doit nécessairement vérifier, voire valider le lesbianisme, distinguer amitié et amour, se qui se traduit par trouver le bon mâle à l’héroïne. Le fait est que pour plusieurs le lesbianisme n’existe pas. Que cette «amitié consumée» n’est qu’un égarement ou alors une aventure sans lendemain, sous forme d’essai, et surtout non menaçante pour l’hétérosexualité. Dans les films pornographiques et dans la vie de tous les jours, le lesbianisme n’est qu’un fantasme chimérique pour l’homme hétérosexuel; si sa femme le trompe avec une autre femme, c’est en général beaucoup moins menaçant (voire même excitant), alors que si elle le trompe avec un autre homme, c’est une menace. Bien sûr, le scénario que j’évoque ici est une généralisation de la perception du lesbianisme (inutile d’écrire des lettres de menaces à ce sujet), quoique cette généralisation est encore grandement ancrée dans les mentalités, même si les choses ont tendance à changer, lentement mais surement… Plus les LGBT acquerront des droits sociaux, plus le respect pour les homosexualités sera validé et plus le lesbianisme sera perçu comme une réalité tangible, une sexualité à part entière, un mode de vie, plutôt qu’une chimère non menaçante. 

Le sexe

Évidemment, même si nous sommes dans les années soixante, avec la libéralisation des mœurs à l’écran, le film Thérèse et Isabelle n’offre pas une sexualité explicite, même si vous pouvez y voir de la chair ici et là. Les prémisses commencent par la satisfaction personnelle, avec cette scène où Thérèse se donne du plaisir (alors qu’elle pense à Isabelle). Plus tard, les deux femmes se rejoignent dans la chapelle (notez les interdits)…Cadré au visage, on entend Isabelle dire «je t’aime» à Thérèse, qui se rappelle le tout par le biais de retours en arrière. Plus tard, les deux femmes se retrouvent dans le même lit... «Si on nous trouve toutes les deux comme ça, on pourrait être expulsé » explique Thérèse. Isabelle rétorque que «le pensionnat pourrait brûler, elle s’en fiche, rien ne les séparera»…Scène de nudité : rien de vulgaire, tout est dans la douceur et l’évocation, plutôt filmée en haut des épaules pour la majorité, quoique vous y verrez de la nudité. Le monologue de Thérèse, expliquant ses émotions, est particulièrement évocateur. En opposition aux films pornos, on évoque plutôt que de montrer, on amène le ressentis au spectateur par la douceur et la suggestion. Et bon, au contraire du porno, il y a un scénario! Trêve de comparaisons…

La Fugue, ou la théorie de la fuite

À n’en point douter, les deux femmes s’aiment, ce n’est pas qu’une idylle de jeunesse. Néanmoins, lorsqu’elles se rendent compte de la condition de leur amour impossible, la fugue s’impose comme la solution (ou comme évoqué plus haut, la mort ultime en dernier recours, dans certains films). Dans Thérèse et Isabelle, Thérèse évoque la fugue alors que son amoureuse est plutôt réluctance.
Rumeurs, pression des pairs et intimidation
Et voici que la rumeur court… Lorsque les autres jeunes filles du pensionnat apprennent la relation entre Thérèse et Isabelle, la phase de l’intimidation commence. S’en suit des cris, des larmes et pourquoi pas des cheveux arrachés. Ici c’est Isabelle la victime. Thérèse assiste impuissante, pour ensuite décider de feindre de se faire frapper par une voiture…stratagème qui évitera de révéler l’incident de l’intimidation aux supérieures et par surcroit la raison (lire relation secrète) qui engendre l’intimidation. Cet événement rendra possible une certaine fugue des deux femmes dans Paris; romantisme sous les ponts de paris, musette et hôtel…mais se confronter au regard des autres n’est pas toujours chose facile, même dans un deux étoiles…

L’uniforme

Finalement l’uniforme… Si Thérèse et Isabelle est un film en noir et blanc, vous discernerez cette chemise blanche, avec un débardeur et une jupe aux genoux aux tons plus foncés. Fait intéressant ; cette cravate noire que les pensionnaires portent, leur confère une certaine masculinité. Dans les codes vestimentaires, porter des «signes masculins conventionnels» revient à conférer à l’héroïne un certain pouvoir, une indépendance, un charisme, un apparat de séduction jusqu’alors réservé aux hommes de par les conventions. Lorsque Marlène Dietrich chantait dans Morroco (1930), habillé d’un costar noir et nœud papillon, avec pantalon et chapeau, ces codes masculins lui conféraient un pourvoir de séduction. D’ailleurs, à la fin de sa prestation alors que tous les hommes et les femmes de l’assistance sont sous son charme, elle s’octroie le droit d’embrasser une spectatrice, illuminant ainsi l’histoire cinématographique de son premier baiser lesbien. De ce fait, et sous les réalisations lumineuses de Josef Von Sternberg, elle deviendra non seulement une icône du cinéma, mais aussi de la communauté lesbienne….


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