Accepter le cinéma trop gai

Par Beaguillart

Présenté à Sundance en janvier 2009, le film I Love You Phillip Morris, qui raconte une histoire d’amour loufoque entre deux détenus joués par Jim Carrey et Ewan McGregor, deux acteurs connus et appréciés du grand public, aura attendu près de deux ans avant de connaître une sortie (limitée) en salle en Amérique du Nord.

Quatre ans plus tard, Behind the Candelabra, le présumé chant du cygne de Steven Soderbergh – l’oscarisé (Traffic) et palmé (Sex, Lies, and Videotape) cinéaste a depuis laissé entendre que cette retraite du cinéma pouvait ne pas être définitive – ne connaîtra pas de sortie sur les écrans nord-américains, car les studios hollywoodiens ont refusé de financer ce projet jugé « trop gai », et ce, malgré la présence de Michael Douglas et Matt Damon comme têtes d’affiche. Le financement et la diffusion de cette relation amoureuse entre le célèbre pianiste Liberace et son jeune amant auront finalement passé par la chaîne câblée HBO. Le film a néanmoins été sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes cette année.

Récemment en France, des affiches du film L’inconnu du lac, film-sensation dans la section Un certain regard à Cannes, dont l’intrigue se déroule dans un site naturiste dédié aux homosexuels, ont soulevé un tollé au point d’être retirées dans plusieurs villes en raison d’un minuscule élément en arrière-plan qui suggère du sexe oral entre deux hommes. Pourtant, des affiches et publicités autant sinon plus (hétéro)sexuellement suggestives, et souvent dégradantes à l’endroit de la femme, sont souvent exposées sans soulever la moindre réaction dans le grand public.

Au Québec, le réalisateur Xavier Dolan déplorait à l’émission Tout le monde en parle cet hiver que son plus récent film, Laurence Anyways, avait suscité peu d’intérêt en dehors de la communauté artistique québécoise. Ce film, d’une qualité certaine bien que fluctuante, présente une histoire d’amour entre une femme et un homme décidant de devenir une femme.

Lorsqu’il fut annoncé que Dolan, ouvertement homosexuel, avait choisi d’adapter la pièce de théâtre Tom à la ferme de Michel-Marc Bouchard pour son prochain film, les blogues cinéma du Québec ne manquèrent pas de participants pour déplorer que Dolan inclut dans son œuvre une thématique LGBT pour une quatrième fois en quatre films. (En fait, les détracteurs de Dolan lançaient déjà ce type de commentaires dès son deuxième film.) Tom à la ferme, sélectionné en compétition officielle à la Mostra de Venise cet automne, racontera l’histoire d’un jeune homme qui se rend aux funérailles de son amoureux dont la famille ignorait la vie sexuelle.

Pourtant, lorsqu’on examine la filmographie de cinéastes d’envergure, il n’est pas rare de constater une tendance lourde dans certains thèmes explorés ou méthodes utilisées. Par exemple, Spike Lee est étroitement associé à la question raciale; des monstres pullulent dans les œuvres de Guillermo del Toro; Martin Scorsese traite abondamment des milieux criminels; enfin, pour revenir au présent sujet, la carrière de Pedro Almodovar est indissociable de la diversité sexuelle! Voilà pour ce qui est du fond.
Il en est de même quant à la forme : les trois premiers films d’Alejandro González Iñárritu, Amours chiennes, 21 Grams et Babel, utilisaient une structure chorale – où le spectateur suit différentes histoires parallèles qui finissent par s’entremêler – ce qui n’a pas empêché la critique comme le public de leur offrir un accueil nettement positif, même au troisième. Iñárritu a délaissé la structure chorale pour son quatrième film, Biutiful, qui a ironiquement reçu l’accueil le moins enthousiaste des quatre.

Revisiter un thème ou une approche ne constitue pas seulement une vulgaire répétition. Si le cinéaste est le moindrement talentueux et curieux, bref un artiste, revenir sur un sujet lui permettra plutôt de l’approfondir, de l’aborder sous un angle inexploré jusqu’à présent. Réutiliser une méthode détient le même potentiel lorsque bien réalisé. Si de telles affirmations constituent des évidences en ce qui concerne tous ces artistes-cinéastes établis, comment expliquer que le même propos serve à dénigrer Dolan?

Tous les cas d’espèce énumérés en début de ce texte, qui ne montrent que la pointe de l’iceberg, nous montrent le chemin ardu qui mène de la tolérance à l’acceptation face à la diversité sexuelle, un sentier semé d’embûches. Des embûches comme l’indifférence, la règle des deux-poids-deux-mesures ou une classification du cinéma ouvert à la réalité LGBT comme étant un cinéma de genre, du genre gai. C’est en raison de cette catégorisation que la majeure partie du problème, de l’iceberg, demeure encore submergée à ce jour. La diversité sexuelle est généralement tolérée dans les sociétés occidentales, camouflant que la pleine acceptation s’avère loin d’être acquise, incluant au cinéma.

Sous ce manque d’acceptation de l’homosexualité, une comédie ne peut intéresser le grand public parce que ses deux personnages principaux forment un couple gai. Un film sur Liberace devient une œuvre « gaie » avant d’être considérée sous le genre biographique. Un scandale naît d’une affiche plutôt banale selon les normes contemporaines. Un personnage transsexuel apparaît sans intérêt.

Enfin, on attribue à Dolan une spécialisation dans les thématiques LGBT alors que son réel sujet de prédilection est l’amour sous différentes formes : l’amour entre une mère et son fils dans J’ai tué ma mère, l’amour à sens unique dans Les amours imaginaires, l’amour impossible et destructeur dans Laurence Anyways. Ce traitement de l’amour demeure valable même en évacuant les thématiques LGBT que Dolan a choisies d’intégrer accessoirement à ses films. Que tant de gens ne s’en rendent pas compte témoigne soit qu’ils ont choisi de ne pas regarder ses films ou qu’ils ont été tellement aveuglés par les aspects liés à la diversité sexuelle qu’ils ont raté le véritable propos de ces films. Dans un cas comme dans l’autre, voilà un autre symptôme du déficit d’ouverture et d’acceptation face aux réalités LGBT.