par Jean Yves
Comment ces deux abrutis de Laurel et Hardy ont pu échapper aux bistouris de la censure ? Parce que, dans leurs films, ça y va franchement : des mollets poilus aux talons aiguille, des pantalons
envoyés en l'air, des nuits blanches transpirées dans le même lit, et même, des envie de faire un bébé ensemble…
Alors, le petit Laurel et le gros Hardy seraient-ils l'archétype même du couple homosexuel clandestin ?
Il faut toutefois faire attention aux clichés bâtis à la truelle ! Facile de dire : « Oliver Hardy, le balaise, le moustachu, celui qui lance les ordres et qui bougonne comme un gros ours, c'est
l'homme. Et Stan Laurel, le maigrelet aux épaules en forme de cintre, c'est la femme. » Non, c'est plus subtil que cela.
La mythologie « Stan-Ollie » commence en 1927, avec le film Putting Pants on Philip On y découvre les premiers signes d'une sex story latente : Laurel, déguisé en Écossais-jupette, débarque en Amérique et retrouve son oncle Hardy. Un Hardy tout
efféminé, quasi manucuré, alors que Laurel, lui, sautille de joie (mouvements de jupette) en rencontrant des bouquets de femmes en pâmoison. Outré comme un pape, affligé par cette mascarade, et
sans aucun doute jaloux de ne pas pouvoir garder son neveu pour lui tout seul, Hardy va tout faire pour remplacer le kilt de Laurel par un vrai pantalon de bonhomme. Avec une avalanche de gags :
on trouve dans ce film le coup de la bouche d'aération (cf. Marilyn, la robe qui s'envole), particulièrement corsé, puisque Stan, jupette au vent, perd en plus sa petite culotte en éternuant.
Ensuite, sous prétexte de mesurer sa longueur de jambe, Hardy abuse d'un Laurel abasourdi et complètement désorienté.
Faut-il voir dans ces rapports un symbolisme sexuel ? Quand Hardy
impose le port du pantalon à Laurel pour qu'il passe inaperçu, le désir de possession semble clair. Alors qu'en apparence on pourrait attribuer le rôle de la femme à Laurel, il se révèle – quand
sa jupe se soulève et que des femmes s'évanouissent - qu'il est un mâle en pleine possession de ses moyens. Viril, donc, Laurel est une menace pour Hardy, lequel a besoin de s'affirmer par
rapport à l'autre pour prouver une supériorité, qui, ratée, l'obligerait à reconnaître sa nature véritable.
Il faudra attendre Early to
Bed [Laurel hérite de son oncle], (1928), pour voir s'orienter avec plus d'évidence les rapports des deux
compères. Dans Putting Pants on Philip, Laurel est encore un sacré coureur de jupons. Ici, il devient un être quasi asexué, en
tout cas nettement moins attiré par les corsages. Après une scène de ménage à vous faire valdinguer tout le mobilier du château de Versailles, après une lutte gréco-romaine orchestrée par Laurel
pour envoyer Hardy au lit, le couple se réconcilie avec une chaleur inusitée. Early to Bed ne symboliserait-il pas le passage de Laurel et Hardy devant monsieur le maire ?
Le comble de l'allusion homosexuelle est atteint en 1929, avec le célèbre Liberty [Vive la liberté] : évadés du bagne, Laurel et Hardy ont enfilé en vitesse deux, trois vêtements civils. Hélas, ils ont interverti leurs pantalons. Tout au long du film, ils vont
tenter de s'échanger leurs culottes, sombrant ainsi dans des situations délicieusement scabreuses.
Si les personnages de femmes sont rares dans l'univers de Laurel et Hardy, c'est qu'ils se placent délibérément sur un terrain où les femmes ne sont guère indispensables. Liberty
pousserait ainsi, à l'extrême, l'utopie d'un paradis des hommes seuls. Il offrirait – à celui qui sait lire – le geste irréprochable de l'amour contre nature.
Mais si les deux comiques jouent sur des éléments équivoques de l'intrigue, ne faut-il pas y voir qu'un ressort comique, et
non pas un hymne à l'homosexualité ?
Il reste que de nombreux films de Laurel et Hardy offrent des éléments concrets au plaidoyer
homosexuel : le curieux attachement indéfectible des deux compères, la misogynie qui se dégage de toutes les comédies matriarcales dont ils
furent les interprètes, et, plus concrètement, les nombreuses scènes de lit, les déshabillages intempestifs, les jeux de travesti, les scènes de jalousie et les triangles passionnels dès qu'une
femme montre le bout du nez. Ainsi, dans Their First Mistake [Bonnes d'enfants] (1932), Hardy, marié, se voit réprimander par sa femme : « Si tu te promènes encore avec ce Laurel,
c'est fini nous deux ! »
Embarrassé, Hardy va quand même se confier à son ami : « Elle
prétend que j'ai plus d'affection pour toi que pour elle. », ce à quoi Laurel réplique, ingénument : «
Et c'est vrai, n'est-ce pas ? », et Ollie, bougon, enchaîne :
« N'entrons pas dans ces détails. » Des détails, on le
voit, qui laissent pas mal de sous-entendus. Un peu plus tard, dans le même film, la conversation se poursuit :
Stan : Sais-tu ce qui nous manque pour être heureux ?
Ollie : Quoi ?
Stan : Un bébé dans la maison !
Ollie : Je ne saisis pas le rapport.
Stan : Mais si, de cette façon, l'esprit de ta femme sera occupé ! Et tu pourras sortir avec moi, ça lui sera complètement
égal !
Ces sous-entendus se trouvent carrément mis au jour quand la femme de Hardy demande le divorce et fait poursuivre Laurel pour
« détournement des sentiments de M. Hardy ». On croit
rêver !
Dans Brats [Les bons petits diables] (1930), il est toujours question d'enfants, mais, cette fois-ci, c'est à Laurel et Hardy de jouer les papas-poules. Leurs femmes ayant pris la clé des champs le temps d'une leçon de tir, nos deux compères se transforment en parents pour s'occuper de leurs gamins (des Laurel et Hardy en version miniature). Alors, Laurel et Hardy font-ils vraiment tout pour chasser les femmes de leur vie ? Sans doute, si l'on compte le nombre de films où les épouses trahies, jalouses, ou tout simplement excédées, plaquent le nid conjugal et s'en retournent chez leurs parents.
En 1929, Stan et Ollie tournent That's My Wife [C'est ma femme]. L'histoire est simple : l'épouse de Hardy,
minée par la présence de Laurel, fait ses valises une bonne fois pour toutes. Le même jour, Hardy reçoit une lettre d'un oncle richissime. Celui-ci lui annonce qu'il lui léguera sa fortune à
condition que la bonne entente continue à régner dans son ménage. Aucun problème : Laurel saute dans un décolleté, et le tour est joué.
Les deux héros n'hésitent jamais à se glisser dans un fourreau, bas de satin sur les guiboles et colliers de perles sur la
poitrine ! Laurel et Hardy : des virtuoses du travesti, des amoureux de la jarretelle, des siphonnés du soutien-gorge… En un mot : deux folles divines !
Dans Twice Two
[Les Joies du mariage] (1933), Laurel et Hardy sont tous deux travestis, jouant leur propre personnage et ceux de leurs
épouses (Stan version « homme » étant le mari d'Ollie version « femme », et vice versa).
Ce double rapport ne suggère-t-il pas, on ne peut plus directement, l'amour physique qui existe entre eux ?