02. histoire de l'homosexualité : l'antiquité

Par Daniel

par Stéphane RIETHAUSER

1. La pédérastie en Grèce antique

La Grèce antique est sou
vent assimilée au berceau et au paradis de l'homosexualité. D'aucuns l'imaginent comme un monde dans lequel les hommes étaient libres d'entretenir des relations avec d'autres hommes. Rien de plus faux. Les structures sociales et les lois en vigueur à Athènes réprouvaient ce que nous appelons aujourd'hui "l'homosexualité". L'amour entre hommes était considéré comme avilissant et indigne d'un citoyen honorable. Par contre, ce qui était autorisé, et même encouragé, c'était la relation entre un homme mûr et un adolescent. Erigé au rang d'institution, le rapport entre l'éraste (l'amant adulte) et l'éromène (l'aimé mineur, un jeune à peine pubère) constituait pour ce dernier un rite de passage à l'âge viril. Même si les liaisons n'étaient parfois pas dénuées de passion, elles avaient surtout valeur éducative. Ainsi, l'adulte prenait sous son aile un adolescent et le formait à la vie sociale et politique, tout en entretenant des rapports sexuels avec lui, sans que la notion de plaisir prenne le dessus sur les valeurs intellectuelles et morales de la relation. L'éromène était pris en charge par l'éraste dès ses 12 ans jusqu'à l'apparition de la première barbe vers l'âge de 18 ans.
Homme et jeune garçon,
vers 420 av. J.-C.


Eraste en action avec un éphèbe, vers 480 av. J.-C.
C'est donc de "paed-erastia" (pédérastie ou en allemand "Knabenliebe") et non d'"homosexualité" qu'il faut parler. L'adulte était en théorie toujours actif et transmettait sa semence à l'adolescent qui devait rester passif dans la relation sexuelle. Les Grecs de l'Antiquité, qui seraient aujourd'hui condamnés pour pédophilie, ne distinguaient pas entre homo et hétérosexualité, mais entre rôle actif et passif. Quant aux femmes, elles ne jouaient aucun rôle dans l'éducation des garçons, pas plus qu'elles n'intervenaient dans la vie sociale et politique. Dans l'ensemble, l'éducation des citoyens reposait sur ce principe d'initiation destinée à transformer un jeune garçon en digne citoyen. La plupart du temps, l'éraste était marié à une femme avec laquelle il entretenait des rapports à des fins procréatrices.

En méprisant les relations entre deux adultes - une condamnation morale et non pénale -, la Grèce antique définissait donc les pratiques homosexuelles de manière restrictive. Mais elle réservait une place de choix aux amours masculines : évoquées par la poésie, le théâtre, l'iconographie des vases ou la statutaire, elles étaient largement reconnues comme positives et valorisantes.

2. Rome, le culte de la virilité

A Rome, l'initiation sexuelle n'est plus au programme de l'éducation. Ce sont les femmes qui se chargent d'élever les garçons. Bien qu'on puisse en trouver des traces, les notions d'éraste et d'éromène ont presque disparu. "Vice grec" : ainsi les Romains nommaient-ils la pratique de sodomiser les garçons. Mais l'homosexualité n'était pas condamnée pour autant. Elle était même largement répandue, comme moyen symbolique pour renforcer la suprématie des citoyens libres dans la société. Car ce qui était répréhensible pour un citoyen libre sous la République, c'était d'entretenir une relation avec un semblable, non de jouir d'un esclave ou d'un prostitué, personnages inférieurs qui étaient à sa disposition. Le citoyen romain devait se caractériser par une virilité et une vaillance sans faille, à la guerre comme à la vie civile, et ne jamais subir l'humiliation d'être au service de quelqu'un, donc de toujours tenir le rôle actif dans la relation, fût-elle avec un homme ou une femme. Sénèque le résume ainsi : "La passivité sexuelle est un crime pour l'homme libre, une obligation pour l'esclave, un service pour l'affranchi."

Corydon et Alexis, Oreste et Pylade ou Castor et Pollux


Fontaine Ityphallique, marbre retrouvé à Pompéi
A partir du Ier siècle av. J.-C., la séduction des garçons libres réapparaît, à l'image du poète Catulle, épris du beau Juventius : "Si sur tes yeux doux comme le miel, Juventius, on me laissait mettre sans relâche mes baisers, j'en mettrais jusqu'à trois cent mille sans me sentir jamais rassasié." Horace, Tibulle, Properce, Lucrèce, eux aussi, racontent les tourments de l'amour des garçons, tout comme Virgile, dans sa fameuse Deuxième Bucolique : "Pour le bel Alexis, chéri de son maître, Corydon, un berger, brûlait d'amour, sans aucun espoir." (39 av. J.-C.). Les régimes changent, de celui de Jules César (100-44 av. J.-C.), surnommé "l'homme de toutes les femmes et la femme de tous les hommes", accusé de "passivité", à Auguste qui devient empereur en 27 av. J.-C., et Virgile publie L'Enéïde, où il rapporte notamment la légende des deux guerriers Nisus et Euryale, un homme mûr et un adolescent, qui puisent dans leur amour réciproque le courage de mourir en héros. Un couple mythique, à l'instar d'Achille et Patrocle.

Sous l'Empire, l'homosexualité et la bisexualité se répandent dans toutes les classes, sans règle et sans retenue, à l'image des empereurs eux-mêmes, de Tibère à Caligula, "prince de la dépravation", en passant par Néron le scandaleux qui fait châtrer un de ses esclaves avant de le prendre publiquement pour épouse. Témoins d'un siècle de vie sociale romaine, les fresques et les statues retrouvées sur les sites de Herculanum et Pompéi, conquises en 89 et 80 av. J.-C. et englouties sous les cendres et la lave du Vésuve en 79 ap. J.-C., montrent de nombreuses scènes de plaisir, parfois suggérées, parfois d'un réalisme plus percutant: du coït anal à des sexes gigantesques, en passant par de jeunes éphèbes languissants, le culte du phallus et de l'éros masculin est omniprésent.

Les femmes, même si elles pouvaient jouir ou souffrir des pulsions de bien des hommes, se bornaient à tenir leur rôle d'épouse et de mère, et n'étaient pas autorisées à avoir de relations entre elles.


Hadrien

(76-138 av. J.-C.) Après la débauche de nombre de ses prédécesseurs, l'empereur Hadrien (76-138 ap. J.-C.) donne une tout autre image : il aime d'amour le bel Antinoüs (110-130 ap. J.-C.), un jeune Grec de Bithynie, qui l'aime en retour. Après la noyade de son amant dans le Nil à l'âge de 20 ans, Hadrien l'éleve au rang des dieux en faisant ériger un temple et une ville en sa mémoire. D'innombrables sculpteurs lui dressent des statues, des pièces de monnaie sont frappées à son effigie. Des jeux seront même organisés en sa mémoire pendant près de 200 ans. Antinoüs, devenu canon éternel de la beauté masculine.

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NOTA BENE: les ouvrages utilisés pour ce travail sont répertoriés dans la bibliographie 

Ce travail est l'oeuvre de Stéphane Riethauser. Il sera publié en 10 parties sur le blog Les Toiles Roses avec son autorisation. Qu'il en soit chaleureusement remercié. Stéphane est joignable sur le site de lambda éducation.
Antinoüs

(110-130 ap. J.-C.)


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