« La carte et le territoire » (prix Goncourt) de Michel Houellebecq, chronique

Par Jean-Baptiste Messier

Présentation :

Cinq ans après La possibilité d une île, Michel Houellebecq revient avec un grand roman qui raconte la vie de trois personnages masculins.
Certains y verront un retour aux thèmes d'Extension du domaine de la lutte et des Particules élémentaires, d'autres salueront un texte puissant, à la fois contemporain et profondément classique, d une admirable maîtrise littéraire.

Mon avis : Un point de bascule vers l'essentiel

J'observe dans " La carte et le territoire " une économie de la narration similaire à Plateforme... Environ à la moitié du livre, on se dit, bon c'est bien écrit mais y a rien d'essentiel, comme le héros, on s'em...bête un peu avec des épisodes de vie sans grand intérêt à l'image du héros, Jed, qui pourtant possède toujours cette qualité de sincérité existentielle dans un monde vu comme abscons et étranger. Et puis ce qui viendra relever le récit, ou le faire basculer dans l'essentiel, c'est l'approche de la mort... Le véritable sujet du livre, du roman, c'est la mort et plus particulièrement la mort du père de Jed. Houellebecq est digne de l'Ecclésiaste (" tout est poussière et reviendra à la poussière ") ou du Roi Lion (" Oui mon fils ! Tout ce que tu vois obéis aux lois d'un équilibre délicat. En tant que roi il te faut comprendre cet équilibre et respecter toutes les créatures, de la fourmi qui rampe à l'antilope qui bondit. - Mais les lions mangent les antilopes ! - Oui Simba ! Mais laisse moi t'expliquer : Quand nous mourons nos corps se transforment en herbe et l'antilope mange l'herbe. C'est comme les maillons d'une chaîne dans le grand cycle de la vie. " )
Jed est un artiste, solitaire, un peu " autiste " un peintre un peu le miroir de l'approche littéraire de Houellebecq. Jed veut transcrire le réel dans un esprit objectif (ce qui est le propre des photographes), " une contemplation abrutie du monde ", il photographie des cartes, des objets industriels (des frigos...), peint des portraits de métiers actuels (comme la rencontre entre Bill Gates et Steve Jobs)... Et finalement il en viendra à photographier la pourriture des objets industriel et la végétation qui finit toujours par gagner... Le cycle est là présent avec la thématique du recyclage.
Jed finit par rencontrer son reflet qui est... Michel Houellebecq. Oui, vous avez bien lu, Houellebecq se met en scène dans son propre livre. En effet Jed veut peindre le portrait de l'écrivain. La façon dont Houellebecq se décrit à travers les yeux du héros est sans pitié, complaisance ce qui provoque un effet cocasse. J'ai pas mal rigolé.
Et puis l'agonie du père vient et les pages du roman deviennent très émouvantes. Houellebecq, l'écrivain, ne fait pas dans le pathos et pourtant l'émotion est là, forte.
A noter ce qui fait le charme de ses livres, toujours cet humour, cette poésie et cet existentialisme désespéré mâtiné d'humour.
Je ne suis pas sûr que " La carte et le territoire " soit le meilleur des livres de " Houellebecq ", le précédent " La possibilité d'une île " est un vrai tour de force, et il me semble difficile après pour un auteur de s'en relever. Pourtant si on veut voir le cheminement qui conduit de l'un à l'autre, c'est encore et toujours la mort, dans la possibilité d'une île, on la fuit, dans " La carte et le Territoire ", on se la prend en pleine gueu..e

A propos Jean-Baptiste Messier

J'ai toujours été guidé par l'idée de produire des textes originaux, provocateurs voire transgressifs. La littérature érotique est mon domaine de prédilection même si j'aime parfois composer des cocktails avec le fantastique, la SF ou la fantasy. J'écris aussi des chroniques sur des livres très divers et évoque parfois des sujets assez polémiques ou spirituels. A découvrir. ;)