Chronique de « Sérotonine » de Michel Houellebecq

Par Jean-Baptiste Messier

Présentation :
" " Mes croyances sont limitées, mais elles sont violentes. Je crois à la possibilité du royaume restreint. Je crois à l'amour " écrivait récemment Michel Houellebecq. Le narrateur de Sérotonine approuverait sans réserve. Son récit traverse une France qui piétine ses traditions, banalise ses villes, détruit ses campagnes au bord de la révolte. Il raconte sa vie d'ingénieur agronome, son amitié pour un aristocrate agriculteur (un inoubliable personnage de roman son double inversé), l'échec des idéaux de leur jeunesse, l'espoir peut-être insensé de retrouver une femme perdue. Ce roman sur les ravages d'un monde sans bonté, sans solidarité, aux mutations devenues incontrôlables, est aussi un roman sur le remords et le regret. "

Mon commentaire : " Sérotonine, zéro tonus (Jésus nous l'avait pourtant bien dit)

Alors Sérotonine, c'est l'histoire d'un homme qui a connu l'amour et ne le connaîtra plus. C'est acté. Deux fois, l'amour a toqué à sa porte, et deux fois, le narrateur ne va pas le suivre ou même le trahir et le briser. Actuellement, il vit avec une belle Japonaise avec qui il n'a aucune espèce de complicité mais qui avait pour qualité de bien baiser et qui l'insupporte. Alors, il décide de disparaître. Disparaître des radars humains. C'est le récit d'un homme seul, un étranger au monde, et qui se désagrège étape par étape.

Or de façon surprenante alors que rien n'annonce cet exhortation chrétienne, alors que ce processus de désagrégation de Florent-Claude (curieux prénom qui n'est évoqué qu'une fois alors retenez le bien ou pas) arrive à son terme logique, celui-ci nous livre ses dernières pensées et donne une sorte de morale à son histoire : Nous n'entendons pas le message du Christ qui a donné sa vie pour nous. Mais quel est ce message que nos cœurs endurcis n'entendent pas ?

Le narrateur Houellebecqien n'arrive toujours pas à se convertir. Il n'arrive pas à se mettre " En route ". Finalement, le narrateur échoue dans sa vie de deux manières majeures qui le laissent absolument vide. La fin chrétienne du livre m'a " obligé " à effectuer une seconde lecture car elle éclaire d'un jour différent le roman et du coup j'ai cherché les traces de mots, de phrases qui présagent cette fin christique. C'est comme certaines chutes de nouvelles, avec la fin, le sens en devient différent. Donc en relisant, je trouve une première allusion. Mais contrairement à ce qui se passait dans " Soumission ", notre Florent-Claude ne franchit même pas le seuil d' un monastère. " Ils sont overbookés ". On retiendra cette allusion au dévoiement touristique de lieux religieux, symbolique de notre société de consommateurs et de touristes de la vie. On retrouvera cette allusion au monastère p 279 où le narrateur pense aux vigiles des moines lors d'une nuit d'insomnie. Au fond que montre ce livre si ce n'est la nuit obscure de l âme sans amour, Sans Dieu ? C est l'une des dimensions, pas la seule. " Misère de l'homme sans Dieu " comme dirait Pascal (mon voisin).

Si vous êtes d'humeur chagrine,
Évitez Sérotonine.

On remarque qu'en fait Houellebecq suit une ligne de force parallèle à l'écrivain Huysmans depuis " Soumission " mais inverse si je puis dire. Quand on lit " En route " de Huysmans, ce que j ai fait en parallèle de " Sérotonine ", justement, on s'aperçoit que la narrateur Duretal s'élève en dehors des conventions de la société de son époque grâce à sa conversion ou son envie de conversion au catholicisme. Le récit des atermoiements de Duretal peut être aussi actuel que le récit similaire de conversion d'un narrateur à n'importe quelle époque. Alors qu'au contraire l'esprit du narrateur Houellebecqien est profondément embourbé dans les méandres de cette société française libérale et matérialiste de ce début 21ieme siècle. Et il est possible que les préoccupations de Florent-Claude seront totalement étrangères au lecteur du 23ième siècle.^^ Le comportement commun aux narrateurs de Huysmans et de Houellebecq est leur amour de la cigarette. Là où Huysman nous raconte les craintes de son narrateur dans le fait qu'il ne pourrait pas fumer lors d'une retraite monastique ; Houellebecq nous conte la quête de Florent-Claude pour trouver un hôtel qui accepte les fumeurs. On pourrait presque dire que la chambre d'hôtel est l'envers d'une cellule monastique, son négatif d'une cellule désertée par Dieu.

On trouvera p.285 une curieuse allusion au lion verd, lion vert des alchimistes et francs-maçons (lion vert anagramme de VITRIOL, Visita Interiora Terrae Rectificandoque Invenies Occultum Lapidem - visite l'intérieur de la terre et en rectifiant, tu trouveras la pierre cachée, ), vitriol. Le Vitriol est un acide très puissant, très corrosif. Est-ce une allusion au processus alchimique de la nuit obscure qui viendra tenailler le narrateur lors d'une nuit angoissée et mémorable ?

Houellebecq va-t-il nous faire le récit d'une conversion dans son prochain roman?

Y-a-t'il quelque chose de plus important que le Christ ?

Sérotonine, zéro tonus.

C'est la femme ou plutôt l'amour de la femme qui fait vivre le narrateur Houellebecquien, et c'est elle qui le fait mourir dans la nostalgie et le regret infini de l'amour perdu et qui ne se représentera plus. Comme la carcasse d un animal à peine en vie qui devient exsangue, vide et desséchée. Consumée de l'intérieur.

Le héros Houellebecquien est vide mais Michel ne l'est pas, il est empli de créations et peut-être est-ce la flamme de l'écriture qui le maintient en vie.

Les deux dernières pages qui évoquent le Christ sont un peu comme un koan... alors j'ai pris le temps de relire le livre et de méditer ces deux dernières pages.

L'exemple du Christ nous dit que c'est dans l'amour que se trouve notre salut.

Et dans notre vie, l'amour nous fait signe à plusieurs reprises et parfois, nous le maltraitons, nous échouons, jusqu'à ce qu'il ne se représente plus. Sensation qui nous prend quand nous franchissons la quarantaine et que l'horizon des possibles se rétrécit. La salut s'éloigne et l'enfer nous gagne du moins quand on pense que seul l'amour humain compte. Car l'amour divin lui, ne cesse de frapper à notre porte.

Il est probable qu'on trouve une autre clé d'interprétation en lisant " Les âmes mortes " de Gogol, le seul livre que notre Florent-Claude admet lire en ce crépuscule de son existence.

A propos Jean-Baptiste Messier

J'ai toujours été guidé par l'idée de produire des textes originaux, provocateurs voire transgressifs. La littérature érotique est mon domaine de prédilection même si j'aime parfois composer des cocktails avec le fantastique, la SF ou la fantasy. J'écris aussi des chroniques sur des livres très divers et évoque parfois des sujets assez polémiques ou spirituels. A découvrir. ;)