Commentaire de « La Bible dit-elle vrai » de François Brossier

Par Jean-Baptiste Messier

Présentation :
" D'où viennent les textes qui composent la Bible ? Qui les a choisis ? Quelles sont les conditions nécessaires pour affirmer que la Bible dit vrai ? Pour répondre à ces questions, François Brossier démystifie le sens du mot histoire et montre comment la Bible n'est pas une énumération d'actes fondés sur des éléments historiques, mais une interprétation des événements avec une vision croyante qui laisse place à la révélation de Dieu. Cependant, cette affirmation ne gomme pas toutes les interrogations : si la Bible est d'abord faite de paroles humaines, qu'est-ce qui permet de dire qu'elle est inspirée par Dieu ? L'auteur analyse successivement les grands récits bibliques en proposant d'y découvrir des modes de rapport à l'histoire très divers : la Genèse, les histoires des patriarches, notamment Abraham, les récits de l'Exode pour l'Ancien Testament, les quatre Evangiles, l'enfance de Jésus, les témoignages sur sa résurrection, les Actes des apôtres pour le Nouveau Testament. "

Mon commentaire :

La Bible dit-elle vrai ?
Tout d'abord ma pensée en prologue sur cette question :

On peut citer " Le Seigneur des anneaux " de JRR Tolkien (grand linguiste et philologue devant l'Éternel) dans le prologue :

" Et certaines choses qui n'auraient pas dû être oubliées furent perdues.
L'histoire devient une légende et la légende devint un mythe. "

Ensuite, évoquons l'auteur car ça a une importance évidente pour apprécier le texte de manière convenable : François Brossier est prêtre, docteur en science théologique, membre du comité éditorial du Monde de la Bible. Il ne recule pas devant les questions les plus critiques qui de toute manière ne peuvent être éludées, en face de personnes de plus en plus éduquées, réfléchies mais aussi parfois animées par un scepticisme, une fermeture d'esprit (un endurcissement du cœur ?), un préjugé, assez attristants, inhérents à notre époque.

C'est un petit livre qui ne paie pas de mine, format poche - 160 pages - et qui pourtant amène non seulement des pistes de réflexions mais aussi des réponses à la question essentielle : La Bible dit-elle vrai ? On pensera à Pilate qui interroge Jésus : " Qu'est-ce que la vérité " ? (Jean 18,38)
Car, au fond, si la Bible dit vrai, comment dès lors passer à côté de son étude ? Pourquoi il serait essentiel de la lire, la méditer ? Parce qu'elle nous parle de Dieu, non pas comme un concept loin de nous, mais comme un " Je suis " (Je suis, Jesu(i)s) qui se préoccupe de l'Homme, qui veut le guider. Or qui dit guidage, dit Chemin mais aussi but à l'existence. C'est donc découvrir le Sens à notre existence. Dieu, par la Bible, nous donne le moyen de connaître notre place dans le monde, du moins si nous pensons qu'Elle est inspirée par le vrai. Et avouons-le, c'est ce que nous cherchons tous (encore que). C'est pourquoi commencer à penser que la Bible a sa Vérité, discerner ses manières de dire le Vrai nous incite inévitablement à repenser notre vie, de manière à la rendre cohérente par rapport à son message pour celles et ceux qui aiment aller au bout de la logique. À moins de jouer l'ange déchu, ce qui est toujours possible, cela relève de notre capacité de choix la plus fondamentale, de notre liberté ontologique.
Inversement, si, peut-être sans trop y réfléchir et dépasser le préjugé, nous pensons que c'est un tissu de mensonges éhontés, pourquoi en faire le Livre de notre vie ? Si nous avons des doutes plus ou moins conscients, plus ou moins avoués, qui viennent gangrener notre confiance, notre foi ? Ne faut-il pas au contraire prendre à bras-le-corps tous nos doutes, toutes nos interrogations et en faire le terreau de notre chemin de foi qui s'approfondit ? Ou au contraire en tirer les conséquences et jeter le bébé avec l'eau du bain.
Une remarque préliminaire pourtant : Pour les fables de La fontaine, est-ce que ça a le moindre sens d'affirmer avec l'esprit sceptique le plus éclatant que ces fables sont fausses ? Qu'après tout, un renard qui parle à un corbeau, ça n'existe pas, c'est bien évident. Est-ce que ce n'est pas se tromper de débat ? Est-ce que la vérité, les vérités que véhiculent les fables ne sont pas d'un tout autre ordre que l'ordre factuel ? Ne peut-on faire dans une certaine mesure (et quelle mesure ?) une analogie avec maints récits de la Bible ?

Ce commentaire tendra à de nombreuses reprises plus vers la réflexion personnelle que le commentaire propre de ce livre.

On distinguera la véracité dans l'ancien testament et celle présente dans les Évangiles qui ne s'appréhende pas de la même manière.

C'est dans l'ancien Testament que la nécessité de pratiquer les 4 niveaux d'interprétation de l'Écriture apparaît le plus clairement. Car, si l'on se contente du niveau littéral, on se retrouve très vite devant un mur qui est celui de l'invraisemblance de nombreux textes, ou d'un manque de clés de compréhensions concernant certains textes qui relèvent évidemment du mythe ou du récit métaphysique, ontologique comme la Genèse, le péché originel, etc.

C'est ainsi la doctrine des quatre sens (source : wikipedia) est pratiquée dans la traditionjudaïque pour l'étude de la Torah (c'est à dire largement l'Ancien Testament :
  • Remez : allusif (littéralement : allusion) ;
  • : allégorique (littéralement : creuser, sonder, chercher) ;
  • Sod (kabbale) : mystique (littéralement : secret).

L'acronyme forme " prds " ( PaRDeS). Le Midrash se concentre sur le remez et le drash.

Le sens mystique ou secret () fait l'objet plus particulièrement des études kabbalistiques.

La kabbale chrétienne fut réprimée au Moyen Âge car elle était considérée comme une source d' occultisme ésotérique.

La question de savoir si l' herméneutique des quatre sens de l'Écriture est une transmission du judaïsme au christianisme ou une influence postérieure du christianisme sur le judaïsme est débattue. Gershom Scholem, l'un des plus grands spécialistes de la kabbale, penchait pour une influence chrétienne. (source : wikipedia)

Origène utilise généralement trois sens dans ses commentaires d'Écriture : littéral, moral et mystique, qui correspondent à la trichotomie humaine " corps, âme et esprit " ( De principiis, IV, 11), quoiqu'il suive souvent l'ordre corps-esprit-âme, donc littéral-mystique-moral. Soit le passage de l'Exode (I, 6-7) qui dit : " Joseph mourut (...) et les fils d'Israël grandirent et se multiplièrent. " Le sens littéral (charnel, historique) est : Joseph est mort, puis les fidèles devinrent une grande multitude ; le sens mystique (spirituel, allégorique) est : Joseph annonce Jésus, mort pour que l'Église s'étende sur la Terre ; enfin, le sens moral (qui édifie les âmes) est : la mort du Christ se reproduit dans l'âme de chaque chrétien dont elle fait proliférer la foi ( Homélies sur l'Exode, I, 4). (source : wikipedia)

Jean Cassien, cité par K. Froehkich, a systématisé les quatre sens au Ve siècle. Il indique, dans sa XIV e Conférence (§ 8) : " Les quatre figures se trouveront réunies, si bien que la même Jérusalem pourra revêtir quatre acceptions différentes : au sens historique, elle sera la cité des Hébreux ; au sens allégorique, l'Église du Christ ; au sens tropologique, l'âme humaine " ; au sens anagogique, la cité céleste, 'qui est notre mère à tous'.

Les quatre sens ont été formulés au Moyen Âge dans un distique latin : Littera gesta docet, quid credas allegoria, moralis quid agas, quo tendas anagogia 7 (la lettre enseigne les faits, l'allégorie ce que tu dois croire, la morale ce que tu dois faire, l'anagogie ce que tu dois viser). (source : wikipedia)

Derrière les lettres, il faut trouver l'Esprit.

Venons-en au commentaire proprement dit de ce livre qui, j'espère, donnera envie de lire ce livre qui vaut le détour. Quelques citations :

P 37, nous sommes dans ce type de pensée (d'aller plus loin que la lettre), nous lisons : " Les récits du début du livre de la Genèse font partie des livres que l'on désigne scientifiquement sous le titre de livres mythiques. " (...) " Le caractère exemplaire de cette histoire est marqué par le fait qu'elle est racontée dans un temps hors du temps qui représente tous les temps, un temps des origines. (...) la vérité d'un récit de type mythique repose non sur la matérialité de l'histoire qu'il raconte mais sur ce qu'il révèle de la place de l'homme dans le monde et par rapport à Dieu. "

Ma pensée : Dieu révèle donc son projet pour l'homme à travers la Bible. Et c'est ce que nous devons rechercher dans cette lecture. Il y a un sens spirituel à tirer des livres de la Genèse, de l'exode (dont l'historicité est aussi sujette à caution), les récits d'Abraham, de Jacob, etc. En lisant les récits de l'ancien testament, j'ai souvent l'impression de lire des fables, qui possèdent des enseignements vrais de tout temps, des récits plus ou moins éloignés des faits mais inspirés par eux. Des contes, des légendes qu'on se raconte selon une tradition orale (oracle) autour d'un feu. Des contes retranscrits par écrit. C'est à mon avis bien plus profitable de les lire dans cet esprit que de chercher l'exactitude des récits sur un plan historique. Dénicher le Spirituel sous le pseudo-factuel, ou, disons, basé sur une strate historique dont le contour précis est difficile voire impossible à préciser, à retrouver.

Il y a l'exotérique, l'enseignement d'une certaine manière canon, celui qui peut être compris, transmis à tous, dit, répété, sanctifié, ritualisé. Et puis l'enseignement ésotérique qui est plus intérieur, moins défini et définitif, propre à la méditation de chacun mais dont le cadre est fourni par l'enseignement exotérique, une autorité qui s'apparente à l'Église en tant que principe d'autorité dans l'interprétation de l'Écriture, commun à toutes les religions sous une forme ou une autre, d'une manière plus ou moins hiérarchique.

Pourtant, avec les Évangiles, et les actes des Apôtres (l'Apocalypse étant sans nul doute un texte à part), on se rapproche de ce que l'homme moderne (positiviste) pourrait qualifier d'" histoire ". D'une part, parce que les événements relatés sont moins lointains et surtout que la passage à la transcription écrite s'est fait très rapidement après la mort de Jésus-Christ. Et les traces chez des historiens non chrétiens sur le Christ et le christianisme primitif sont nombreuses. De plus le récit même des Évangiles regorge de détails, d'anecdotes qui placent les récits sous le signe du documentaire, du reportage, du témoignage tout simplement même si la visée édifiante, prosélyte, est claire.
J'aurais envie de dire, le moment de l'existence du Christ sur terre est le point d'orgue où se rejoignent l'histoire humaine et l'histoire du Sacré. Chaque événement prend une résonance éternelle, une synchronicité absolue entre l'événementiel et la révélation de ce que pourrait être l'Eternel, de sa vie qui se situe sur le plan de l'évolution qualitative, du chemin vers la Lumière. Quelque chose comme ça.
Avec la mort de Christ, les deux rouages semblent à nouveau se séparer pour notre plus grande confusion. L'histoire humaine s'éloigne d'un Sens évident qui se faisait enfin jour après une longue gestation. Et sans doute, il faut chercher bien loin, bien profondément aussi bien dans notre extérieur que dans notre intérieur pour le retrouver ce Sens, pour nous femmes et hommes du XXIème siècle.
On pourra s'intéresser avec profit l'oeuvre de Mircea Eleade, je pense :
" La hiérophanie, qui désigne la manifestation dusacré, consiste non pas en l'irruption d'une puissance numineuse extérieure dans le domaine profane, mais s'exprime dans un regard neuf sur ce qui nous entoure et sur nous-même, la vision pure. " p.16 : " Il n'en reste pas moins que si les récits bibliques n'étaient que fiction, on ne pourrait plus parler de Dieu se révélant dans l'histoire des hommes. Ce sera donc le but de cet ouvrage : montrer à la fois l'historicité réelle de la Bible et manifester que cette historicité n'est pas forcément , dans le contexte de la civilisation du proche-orient ancien, liée à la réalité factuelle ou anecdotique des événements racontés. " p20 : " Bible, Parole de Dieu?(...) Dans un premier temps, nous pouvons tout autant affirmer : Bible, parole humaine. Par là, nous mettons en relief le fait que les écrits bibliques sont dépendants de la personnalité des écrivains, du contexte historique, culturel, politique et religieux de l'époque, de leur écriture. " Un peu plus loin : " Mais l'historicité peut être au second degré. Par exemple dans le film " La vie est belle " de Roberto Benigni décrit au second degré l'histoire de l'extermination des juifs par les nazis. Son historicité est indéniable bien qu'au niveau factuel, rien ne soit réel. " p21 : " L'unité de la Bible ne vient pas de ce qu'elle serait tombée du ciel ; l'unité de la Bible chrétienne vient de ce qu'elle nous dévoile progressivement le dessein de Dieu porté à son achèvement en Jésus-Christ. " P27, nous lisons la réflexion suivante : on trouve dans la Bible des récits de genres très divers : les récits des origines (genèse...), les récits légendaires (ex : l'histoire de Samson), les récits épiques (ex : la sortie de l'Egypte dans l'exode), les textes législatifs (qui organisent la vie du peuple comme le Deutéronome), les textes liturgiques qui organisent la vie spirituelle (le rituel de la Pâques dans l'exode), les chants liturgiques (les psaumes...), les oracles des prophètes (les prophètes interprètent la Parole de Dieu), enfin les écrits de sagesse - réflexions des sages sur les grandes questions humaines comme , la vie, la mort, le bonheur (le siracide, proverbes...) L'auteur analysera de nombreux exemples (Genèse, récits d'Abraham, exode, etc.) pour étayer sa pensée qui concernera dans une première partie l'Ancien Testament. Ma pensée : La question de l'historicité des Évangiles ne peut être abordée de la même manière que pour l'Ancien Testament, en tout premier lieu parce que douter de l'existence historique de Jésus pourrait rendre caduque son message pour nombre de chrétiens ou du moins ébranler de manière très sérieuse leur foi. Personnellement, pour moi, je n'ai pas besoin de croire à la vérité entièrement factuelle de l'existence de Jésus pour en faire un véritable support de méditation et de chemin de vie. Pourtant comme ne le nie pas l'auteur, bien au contraire, il existe de nombreuses divergences entre les Évangiles canoniques. D'où la question p 79 : " Comment écrivait-on l'histoire au temps de Jésus ? " L'auteur nous fait un rapide récapitulatif d'historiens non-chrétiens qui parlent de Jésus ou du christianisme primitif : Flavius Joseph (juif), Tacite, Pline, Suétone. Mais bon, il faut bien avouer que les textes qui donnent le plus de détails sont bien évidemment... les Évangiles et les actes des Apôtres. L'évangile de Marc serait le plus ancien et aurait servi de support à ceux de Matthieu et Luc. L'évangile de Jean " est le fruit d'une tradition indépendante des trois autres ". (p.88) Qui sont ces témoins, les auteurs des Évangiles ? On pourra trouver des renseignements (minces) chez Irénée de Lyon ou Eusèbe de Césarée. P 91 : " Les Évangiles représentent des écrits engagés, destinés à l'enseignement des chrétiens. Est-ce à dire qu'ils n'auraient aucune fiabilité ? Certes non ! Mais cela veut dire qu'ils ne peuvent être lus et compris indépendamment de leur fonction propre. " P 127, cette réflexion très intéressante que je partage entièrement : " La résurrection de Jésus ne peut pas être appréhendée par les méthodes historiques. Mais l'étude des différents témoignages du nouveau testament permet de rencontrer un fait historique indéniable : après la mort de Jésus sur la croix, il s'est produit un événement qui a bouleversé radicalement les disciples de Jésus. Il ne peut être assimilé à un phénomène d'autosuggestion. " Ma pensée : en effet, la mort de Jésus avait sans doute profondément déçu les disciples. Peut-être même une désillusion totale. Et pourtant, quelque chose se passe, et les voilà qui évangélisent à tour de bras ! Appuyés sur une foi formidable. Indéniablement, il s'est passé quelque chose qui les a confirmés dans leur croyance, en Jésus, fils de Dieu. La résurrection ? p 155 : " Luc est loin des principes des historiens de l'ère positiviste moderne. Il est cependant un véritable historien qui ne se contente pas d'énumérer les faits mais cherche à les comprendre, à les relier entre eux, à en montrer les interactions et en tirer les conséquences pour la suite des temps " Ma réflexion : Et c'est dans cette volonté de montrer les liens au détriment des faits purs qu'il s'éloigne de l'historien positiviste mais montre un autre type de vérité. François Brossier en arrive à la conclusion du livre... Nous pouvons lire p159:
" Lorsque l'amoureux appelle sa bien aimée " mon petit canard ", l'homme pétri par la conception positiviste et scientiste dira que c'est faux ; le poète, lui, dira que c'est vrai car la métaphore permet d'exprimer une profondeur de sentiment que ne révélerait pas l'expression " femme ". Dès lors, le plus vrai est-il " femme " ou " petit canard " ? " (hé oui) p 160 : " Aristote l'exprimait déjà très bien dans son livre " Poétiques " : il il y a deux manières d'écrire l'histoire : soit par mode de reproduction, soit par mode de production. La reproduction consiste à donner une description la plus précise possible des faits qui se sont déroulés. La production consiste à créer un récit qui donne à voir non pas le factuel mais ce qui est profondément en jeu dans les événements. " ex : Guernica de Picasso qui raconte les horreurs de la guerre civile espagnole, etc. L'auteur termine par cette sentence pleine de sentiment et de vérité je trouve : " La Bible dit-elle vrai ? Oui, mais la rencontre de la vérité suppose la complicité active et laborieuse du lecteur. " Personnellement je terminerai ce commentaire qui, j'espère donnera envie de lire ce livre, par : " Ora et labora ". Lege, Lege, Lege, relege,ora, labora et invenies.