Magazine Cinéma

Je suis un hérétique

Par Jean-Baptiste Messier

Je suis un hérétique

La question centrale et essentielle des hérésies chrétiennes (cathares, manichéens et autres bogomiles :)) est :

Comment penser qu'un monde qui génère autant de souffrance inévitable de par ses propres lois aveugles puisse être l'œuvre d'un dieu bon, du " bon Dieu " ?
Comment le remercier si nous pensons que ce Dieu des cieux est créateur de notre monde ?

Récemment, j'ai fait une retraite catholique à l'abbaye de Clairval, je n'ai pas pu résister plus de 3 jours, même si ça a été très enrichissant. Par ex, j'ai bien aimé la phrase répétée " il faut mettre de l'ordre dans nos passions désordonnées ".

Toutefois, dans le préambule des exercices spirituels de St Ignace de Loyola (très riches au demeurant) sur lesquels on travaille lors de cette retraite, on lit (et les moines insistaient beaucoup là-dessus) :
Avant toutes choses, " Principe et fondement : L'homme est créé pour louer, honorer et servir Dieu et ainsi sauver son âme. "

Or en aucun de ces points, je ne suis en accord. D'où mon départ prématuré de la retraite. Je me rends compte que je suis en colère depuis pas mal de temps en fait contre l'idée que le créateur de ce monde est bon. Ou encore attribuer toute cette souffrance à un Dieu bon me paraît totalement incohérent. Je suis trop sensible à la souffrance du monde. Et je suis incapable littéralement de remercier Dieu ou de chanter ses louanges. Ça me bloque complètement. C'est émotionnel,et c'est soutenu par l'intellect.
Depuis, je suis incapable d'assister à une messe.

Pourtant, j'ai eu une discussion en toute amitié avec un moine bénédictin sur mon impossibilité émotionnelle et intellectuelle à concilier l'observation omniprésente du mal et de la souffrance dans notre monde et l'idée d'un Dieu bon qu'il faudrait louer, encenser tous les jours. Le mal ne peut être considéré seulement comme une absence de bien. Le bien, c'est le bien, le mal, le mal.

Je reviens sur mon problème théologique qui concerne l'explication du mal à l'œuvre dans notre monde et qui m'empêche de remercier Dieu et même de réciter le " Notre Père ". Si vous pouviez m'apporter quelques lumières ? Je crains de devenir totalement hérétique.
La première vérité du bouddhisme (il y en a 4) : " la vie est souffrance. "

C'est assez facile à observer.

Dans le " Notre Père ", la prière que nous a enseignée Jésus, nous lisons " Notre Père qui êtes aux cieux " donc Il n'est pas ici-bas mais aux Cieux, c'est clair. Il n'habite pas notre monde. Il est absent.
Dans la même veine, " Mon royaume n'est pas de ce monde. " dit Jésus. Là, c'est cohérent. " Lucifer est le prince de ce monde " (Jean, 12:31) voire encore mieux (ou plutôt pire) " le Dieu de ce monde " (Saint Paul, 2 Corinthien 4.4).
Le démiurge œuvre largement dans ce monde de souffrance. Mais pas totalement. Bien sûr nous pouvons être saisis par la beauté de la nature, la merveilleuse complexité de notre corps. Pourtant ces mêmes lois de la nature si belles en un sens vont provoquer maladie, vieillesse, souffrance et loi de la jungle dans la cinématique de la nature. Cette souffrance et en même temps sa beauté et perfection imparfaite (petite tentative pour exprimer et concilier les contraires) sont générées inéluctablement par les lois qui gouvernent la création. Et Jésus vient apporter sa lumière. Une lumière qui traverse difficilement la gangue de boue de notre monde.
Et nous avons en nous une lumière qui nous fait tendre vers le beau, le bien, le vrai. Enfin pour une minorité d'entre nous (ce qui est déjà problématique, une très grande majorité d'âmes ne connaîtra pas la lumière, et quelques milliards souffriront une bonne partie de leur vie). Nos âmes sont emprisonnées dans leur corps de souffrance. (enfin les rosicruciens auraient plutôt tendance à dire que le corps est le temple de l'âme, ce qui est une perspective tout de même plus positive !)
" Le royaume de Dieu est au-dedans de nous " (Luc, chap 17, v21, traduction de l'abbé Jean-Baptiste Glaire ratifiée par le St Siège )

D'ailleurs un exercice spirituel de Saint Ignace le suggère clairement que notre corps est une prison.
Jésus nous révèle comment nous en libérer. Nous prions pour que le royaume des cieux advienne et que ce royaume de boue disparaisse.

" Notre Père qui es aux cieux, que ton règne vienne ". (prière du Notre Père, pour ceux qui connaissent pas)

C'est donc qu'il ne règne pas actuellement sur notre monde ! C'est pourtant clair (que diable !) !

C'est en m'opposant que j'ai trouvé des réponses, que j'ai circonscrit mes arguments. Le " bon Dieu " (au sens de Dieu exact), celui qu'on doit vénérer n'est pas le créateur de ce monde. Sinon il y a incohérence totale.
Du coup dans le " Notre père ", je glorifie le Dieu des cieux qui règne sur le monde invisible, le parfait, le métaphysique, celui des anges, des êtres spirituels ? Suis-je dans une hérésie totale si je l'interprète comme ça ? Sans doute du point de vue du dogme catholique.
Comment penser qu'un monde qui génère autant de souffrance inévitable de par ses propres lois aveugles puisse être l'œuvre d'un dieu bon, du " bon Dieu " ? Comment le remercier si nous pensons que ce Dieu des cieux est créateur de notre monde ? Je n'ai pas envie de remercier, de louer un Dieu qui crée un monde générant autant de souffrance. Sinon on est proche du syndrome de Stockholm.
Par ailleurs, où est la justice divine quand nous voyons par ex que suivant le lieu où l'on naît, on peut vivre de manière confortable dans les riches pays occidentaux ou de manière misérable pour des millions voire milliards d'habitants ? Quelle est la possibilité d'évolution favorable pour une femme qui naît au Yemen ou en Afghanistan par ex ou des personnes dans les pays où pauvreté, méchanceté, cruautés, et famines sévissent ?
Les ministres, les serviteurs du dogme et culte catholique me disent " c'est la conséquence du péché originel ".

Ce n'est pas du tout une explication satisfaisante, il suffit de creuser un peu, vous le comprenez bien. Ou alors nous avons droit à une justice de Dieu aveugle et sans pitié. Et dans ce cas, où est le Dieu de miséricorde, d'amour ? La faute d'un hypothétique ou mieux mythique péché originel se transmettrait sur les générations d'hommes et de femmes qui sont nés et n'ont rien demandé à personne ? C'est injuste. Et d'ailleurs, cette compréhension du péché originel est-elle juste ?

Ce qui est symbolique, et mythique, bien des catholiques l'interprètent au premier degré. Mais l'allégorie du péché originel, si l'on veut lui trouver sa vérité fondamentale, n'est-elle pas de méditer sur le fait que l'homme en s'éloignant de Dieu, de sa lumière choit dans la souffrance et l'obscurité ? Et tout le cheminement de la Bible n'est-il pas de dire, rapprochez-vous de votre conscience, cherchez la pureté, le bien et la droiture dans vos actions, paroles et pensées et vous connaîtrez la sérénité ?

En réalité, je pense qu'une position satisfaisante n'est pas de raisonner sur un Dieu d'amour etc. où en fait nous projetons des qualités humaines mais bien sur un Dieu impersonnel avec sans doute des " envoyés " qui nous montrent qu'une lumière existe, qu'un monde qui n'est pas de ce monde existe. D'ailleurs la genèse et le prologue St Jean possèdent des aspects dualistes assez évidents.

Genèse, premier jour (1, 3-4) : Dieu dit qu'il y ait de la lumière ! " et il y eut de la lumière. Dieu vit que la lumière était bonne, et il sépara la lumière des ténèbres. "

Prologue de L'évangile de Jean : " et la vie était la lumière des hommes.
Et la lumière luit dans les ténèbres,
Et les ténèbres ne l'ont pas saisi. "

Je crois déceler aussi une influence zoroastrienne (Zoroastre le premier, vers - 1000 av. JC, tout de même, le premier à poser cette question quant à la difficulté de penser un Dieu bon seulement, et qui du coup parlait d'un Dieu inintelligible et " absent ", et de deux principes Bien et Mal qui œuvrent dans notre monde avant sa réintégration totale dans la sphère du Bien).
Le moine bénédictin me recommandait de prier Marie pour me sortir de tout ça, pour m'éclairer. Mais voici, ce que je lui répondais :
Je n'arrive pas à prier Marie, car seul le silence me répond. J'ai l'impression de faire simple œuvre d'imagination quand je le fais. En ce moment je suis bloqué pour prier à la manière chrétienne catholique, et pour remercier Dieu de quoi que ce soit, même si la vision dualiste me le permettra sans doute mieux.

Et si je me pose des questions à moi, en moi, j'obtiens dans le calme des réponses que je ne pense pas définitives mais qui ont la qualité de la clarté et d'une certaine évidence, et d'être en accord avec ce que je ressens au plus profond.
Mais prier à la manière catholique... seul le silence répond. Je suis lucide et sincère.
Et je me dis qu'au XIIIième siècle pour ces pensées sincères, j'aurais pu être jugé comme hérétique et brûlé vif sauf si j'abjurais ma foi.

N.B. : En février 1231, Grégoire IX publie la constitution Excommunicamus, qui prescrit la détention à vie pour les hérétiques repentis et la peine de mort pour les hérétiques obstinés. (source : Wikipédia)

Je suis un hérétique


Retour à La Une de Logo Paperblog